LE MONDE EST À TOI : chronique

15-08-2018 - 17:34 - Par

LE MONDE EST À TOI : chronique

Romain Gavras s’amuse (et nous aussi) dans un polar pop peuplé de stars et de gangsters. Du fun made in France.

 

LE MONDE EST À TOI témoigne à lui seul de la vitalité esthétique et politique d’un cinéma français contemporain qu’on dit autocentré et frileux. Trop longtemps réduit à son statut de clippeur doué, Romain Gavras prouve avec ce second film maîtrisé qu’en France, on peut filmer à la frontière de tout. Tragique, comique, politique, épique et intime, ce MONDE EST À TOI saute par-dessus les genres, les citations et les conventions, pour nous offrir une échappée belle iconoclaste et réjouissante. Toujours à la lisière jouissive du grotesque et de l’émotion, on pourrait craindre, un temps, que Romain Gavras prenne de haut cette histoire de deal de drogue foireux pour tirer le polar vers une version LES KAÏRA de SCARFACE. Mais Gavras est bien plus proche du laboratoire ludique d’un Quentin Dupieux que du cinéma potache d’un Franck Gastambide. En collant aux basques molles de son héros sans qualités (Karim Leklou, parfait Droopy retors) qui ose un dernier deal pour se ranger, il cherche à produire un malaise comique, quelque part entre la satire et le cauchemar. Il y a quelque chose de poétique et de déglingué dans cette France où les mères sont des sorcières (Adjani rayonnante et hilarante, qui s’éclate en matrone dévorante !) ; les ex-taulards, des crétins magnifiques (Vincent Cassel dans un numéro burlesque de bas du front); les caïds, des idiots inquiétants; les avocats, des pourris joyeux (Katerine, évidemment poilant) et les princesses, des castagneuses badass (formidable Oulaya Amamra). Débutant comme un portrait minable d’arnaqueur, le film s’ouvre soudain au romanesque du conte, à la folie des péripéties et à l’humour méchant qui fait du bien – comment résister à Adjani qui tire les cheveux d’une gamine ? Ou à Vincent Cassel et François Damiens qui draguent lourdement ? Surtout, en s’emballant, le film donne de l’épaisseur à ce héros débordé, spolié, martyrisé qui, le temps d’un échange amer et enfantin, réalise avec nous combien lui aussi trouve que plus rien n’a de sens. C’est cette absurdité du monde contemporain que Gavras restitue via la pop culture. Par le truchement des outrances du conte et du film de genre, il donne corps à une sorte d’inconscient collectif contemporain, un mélange de peur (le spectre du terrorisme et ses symboles sont omniprésents et intelligemment détournés) et de désir sans fond (la mythologie SCARFACE) qui imprime la rétine. Soit un monde où Michel Sardou et Jul se télescopent avec gourmandise et où la mélancolie est aussi belle chez Booba que chez Balavoine. Un passionnant french cousin de PULP FICTION.

De Romain Gavras. Avec Karim Leklou, Isabelle Adjani, Oulaya Amamra. France. 1h34. Sortie le 15 août

4Etoiles

 

 

 

 

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