LETO : chronique

04-12-2018 - 18:23 - Par

LETO : chronique

Rock, mélancolique, politique, hybride : LETO de Kirill Serebrennikov souffle un vent d’une grande modernité sur le cinéma russe.

 

Pourquoi cet ÉTÉ (traduction française de LETO) est-il si beau ? Peut-être la réponse se trouve-t-elle dans ce titre énigmatique et éponyme d’une chanson du groupe Zoopark que l’on entend dans le film. Il y a dans l’été la certitude du soleil, de la fête, de la lumière, avec pourtant déjà la sensation que tout cela prendra inexorablement fin. Alors autant en profiter le temps que ça dure… C’est tout ce que capture Serebrennikov dans un noir et blanc énergique et déjà mélancolique. La force du film tient à sa capacité à être à la fois l’instantané bouleversant d’une époque révolue et la leçon joyeuse et irrévérencieuse qu’elle peut nous transmettre maintenant. Comme si Serebrennikov filmait hier avec l’intensité d’aujourd’hui. Ses plans somptueux et très composés ne sombrent jamais dans le cinéma-musée. Tout dans ce film est vibrant, insolent, pétri de contradictions et de surprises, comme le meilleur du cinéma moderne. C’est peut-être ce qui enthousiasme le plus devant LETO : la sensation d’une liberté absolue de cinéma. Le réalisateur ose tout, mélange le cinéma d’auteur mélancolique avec l’esthétique clip outrancière, écrit sur l’écran, passe à la couleur, ralentit le rythme, l’accélère, abandonne des personnages, les reprend ailleurs, s’attarde sur des détails, bouscule les chronologies… Il y a quelque chose de grisant à voir un cinéaste n’avoir peur de rien, pas même du ridicule. Quand un bus rempli de citadins entonne « The Passenger » d’Iggy Pop en chœur alors qu’une scène romantique à souhait mélange adultère et tasse à café, on se réjouit d’être là et d’assister à la toute-puissance du cinéma, seul art capable de naviguer ainsi à vue, de produire des émotions aussi contradictoires et essentielles. Profondément engagé et énervé contre le spectre autoritaire et moralisateur de la Russie actuelle, le film a l’élégance d’être plus politique par son geste fou de mise en scène que par un propos martelé. À l’opposé des films à sujet plombants, cette odyssée punk-rock 80’s choisit de dénoncer l’obscurantisme par son insolente vitalité. Le shoot euphorique que produit le film possède hélas un goût amer quand on sait que le réalisateur est aujourd’hui assigné à résidence dans son pays. Mais LETO n’a pas besoin du fait-divers pour exister. Œuvre brillante, enivrante, c’est surtout un manifeste contagieux pour l’art et la liberté. Quand on réalise enfin que devant nous, un joyeux film de bande s’est transformé en biopic musical puis en mélodrame déchirant et, in fine, en brûlot politique ravageur, on se dit que cet « ÉTÉ » pourrait bien être sans fin, qu’on s’y loverait encore. Grand film. 

De Kirill Serebrennikov. Avec Roman Bilyk, Teo Yoo, Irina Starshenbaum. Russie. 2h09. Sortie le 5 décembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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