LE CHARDONNERET : chronique

18-09-2019 - 11:10 - Par

LE CHARDONNERET : chronique

D’aucuns auraient tiré du best-seller de Donna Tartt une fresque boursouflée nourrie au spectacle stérile. John Crowley, comme dans son précédent BROOKLYN, préfère l’humilité. Ce qui n’empêche ni son audace, ni son exigence ou sa pertinence.

 

Dans les dernières pages de son roman « Le Chardonneret », Donna Tartt écrit : « Si un tableau se fraie vraiment un chemin jusqu’à ton cœur et change ta façon de voir, de penser et de ressentir, tu ne te dis pas (…) ‘Oh, j’adore cette œuvre parce qu’elle parle à toute l’humanité’. Ce n’est pas la raison qui fait aimer une œuvre d’art. C’est plutôt un chuchotement secret provenant d’une ruelle. Psst, toi. Hé gamin. Oui toi. » On imagine aisément le réalisateur John Crowley et le scénariste Peter Straughan épingler cette phrase sur le mur de leur bureau, et en faire leur credo. Comment surmonter la tâche titanesque d’adapter le livre de Tartt – de par sa densité, plus de 1000 pages, et de par son aura de best-seller couronné du prix Pulitzer ? Impossible de le retranscrire absolument fidèlement à l’écran. Impossible de s’adresser à tous les lecteurs et de tous les contenter. Tant mieux. Aucun film ne devrait se constituer prisonnier du matériau dont il s’inspire, tant qu’il en conserve une compréhension profonde et en respecte l’identité. C’est le cas du CHARDONNERET qui n’a ainsi pas l’intention déraisonnée de parler à tous les lecteurs du « Chardonneret », mais à tous ses spectateurs, trouvant en chacun d’eux une résonance personnelle. C’est de cet espoir de chuchoter secrètement à chacun que naît la capacité du film de Crowley à transmettre l’essence du roman et à livrer, à l’écran, un portrait finalement universel de l’existence. Theo, 13 ans, perd sa mère dans un attentat au Metropolitan Museum of Art de New York. Dans les décombres, il récupère « Le Chardonneret » de Carel Fabritius et le garde pour lui seul. Durant les dix ans qui suivent, Theo navigue à vue entre son deuil et sa culpabilité, son secret et son désir de tourner la page, ses amitiés perdues et ses amours déchues… Construit sur un récit éclaté entre présent et passé, fait de réminiscences douloureuses et de tentatives de résilience, LE CHARDONNERET est un exercice méthodique de montage, fait de juxtapositions et d’accumulations. Une mécanique impressionniste qui opère la friction entre histoire et intrigue. D’un côté, ces petits moments du quotidien, parfois insignifiants mais pourtant formateurs de nos identités – la découverte de la différence entre une chaise d’époque et une reproduction, un moment au cinéma avec l’être aimé, une discussion triviale avec un ami. De l’autre, ces « désastres aléatoires » comme les nomme Tartt, coups de théâtre presqu’incroyables qui imposent à nos existences des à-coups et demi-tours brutaux – une mort soudaine, le retour inattendu d’un proche perdu de vue. L’histoire et ses détails construisent le film et son protagoniste ; les points d’intrigue propulsent le récit et chamboulent le héros. De cette tension constante naît un foisonnement romanesque : LE CHARDONNERET est affaire de mystère et de non-dits, de mort omniprésente, de suspens (la rencontre avec Boris, splendide), de peurs insondables (ces visages que la mort tente d’effacer de nos mémoires) et de joies indescriptibles. Il est autant drame que film d’aventure, récit initiatique que thriller, romance que fable sur l’immortalité de l’art. Peut-être certaines errances mériteraient de s’étirer et certains points d’intrigue d’être davantage expliqués. LE CHARDONNERET a néanmoins le mérite de ne pas se plier au pragmatisme du mainstream, préférant convoquer la patience et l’attention de ses spectateurs pour une expérience complexe, exigeante, sensorielle. Discrète. Comme un chuchotement.

De John Crowley. Avec Oakes Fegley, Ansel Elgort, Nicole Kidman, Finn Wolfhard, Jeffrey Wright. États-Unis. 2h29. Sortie le 18 septembre

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