Le film que fait Clint Eastwood patine par moments, mais celui que façonne Tom Hanks avec son interprétation, lui, est bouleversant.
Mettre en scène débute souvent par le choix d’un interprète –pour son talent, mais aussi pour le symbole que son image renvoie. SULLY conte comment, en janvier 2009, le commandant Sullenberger parvint à poser son avion de ligne et ses 155passagers sur le fleuve Hudson, évitant ainsi un crash fatal. Par le prisme de ce fait réel, Clint Eastwood entend notamment parler d’un héroïsme ordinaire accompli par des hommes et des femmes dans le flot quotidien de leur profession. Alors qui de plus évident que Tom Hanks, réification parfaite de l’Américain moyen, pour incarner Sully? Via un récit fragmentaire et non linéaire, Eastwood a la belle idée de donner deux points de vue opposés sur le déroulé des événements: le premier, spectaculaire et porté par les codes du cinéma hollywoodien (imagerie forte, sound design affûté), le second beaucoup plus humain et en retrait, concentré sur les décisions prises par Sully et son second (Aaron Eckhart, voir p.56) dans une cabine cercueil. La précision visuelle d’Eastwood fait souvent merveille: ses cadres notamment, glorifiant autant les visages que les horizons majestueux de l’Amérique urbaine, affichent une solennité discrète et un calme étrange que l’on aurait aimé découvrir sur un écran IMAX – le film a en grande partie été tourné avec la nouvelle Arri Alexa IMAX 65mm. Pourtant, en dépit de sa mise en scène, Eastwood trébuche sur la sève même de SULLY: sa narration et son propos. Étirant parfois arbitrairement un récit déjà court (1 h 36 générique compris), il peine à transcender les faits et à rendre la dramaturgie réellement percutante. Le propos sur la déshumanisation d’un système entièrement voué à l’efficacité, bien que juste, sonne forcé. Le dernier tiers se révèle assez anti-climactique et la conclusion, bâclée. De même, les scènes disséquant la fascination des Américains pour l’héroïsme tombent à plat. Reste qu’au-delà de ce film inégal réside un autre, entièrement façonné par l’interprétation transcendante de Tom Hanks. Plus intériorisé et subtil que ne l’est le film, l’acteur sculpte un autre SULLY, plus percutant car sensoriel et cauchemardesque, plus captivant aussi car porté par des regards intenses et des silences évocateurs. La tristesse profonde que véhicule l’acteur permet alors au vrai fantôme de SULLY d’émerger : hanté par ses propres contradictions, Eastwood sonde son âme, celle d’un vieil homme qui, au crépuscule de sa vie, craint d’être jugé sur ses erreurs et/ou sur ce qu’il n’est pas. Un élan du cœur bouleversant qui aurait peut-être mérité un plus bel écrin, mais n’aurait sans doute pas pu trouver meilleur interprète.
De Clint Eastwood. Avec Tom Hanks, Aaron Eckhart, Laura Linney. États-Unis. 1h36. Sortie le 30 novembre
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