WEST SIDE STORY : chronique

02-12-2021 - 18:00 - Par

WEST SIDE STORY : chronique

Steven Spielberg relit le plus grand des musicals et tombe à point nommé pour raconter notre époque divisée par la peur de l’autre et les injustices sociales. 

 

En 1977, dans RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE, la communication entre humains et extra-terrestres se faisait grâce à la musique et aux ordinateurs. La mère de Steven Spielberg était pianiste, son père informaticien. Plus de quarante ans plus tard, il réalise une nouvelle adaptation du musical « West Side Story », qu’adorait sa mère, et la dédie à son père. Spielberg, bientôt 75 ans, n’en est plus à exorciser le divorce de ses parents. Il n’empêche : cet événement a conditionné toute son œuvre et a participé à faire de lui ce cinéaste humaniste qui exalte l’amour, le lien et l’altérité. Relecture du « Roméo et Juliette » de Shakespeare, « West Side Story » ne peut donc que lui parler et il s’en saisit comme s’il avait été écrit pour lui, par lui.

Depuis dix ans, il n’a eu de cesse de filmer des personnages qui, directement ou pas, figuraient sa nature de conteur. Des personnages qui s’opposent à l’ordre établi et aux injustices qu’il charrie, qui tentent de changer le monde. Qui mieux que Maria et Tony, amoureux en dépit des guerres de gangs, pour intégrer cette galerie ? Et qui de plus jusqu’au-boutiste, comme conteur, que celui ou celle qui brise la réalité et se met à chanter pour la raconter plus grandiose qu’elle ne l’est  ? Éminemment politique, WEST SIDE STORY ne fait que ça : raconter le monde et espérer en donner une version plus belle – par le chant, par le cinéma, par le prisme de l’œil transi d’amour. Spielberg construit ici un univers fait de lignes à franchir, de barrières à défoncer, de grillages à escalader, de fossés à traverser, d’escaliers à gravir, tout ce qui sépare les êtres, tout ce qu’ils doivent vaincre pour atteindre l’autre. Par cette mise en scène constante de l’espace et de ses délimitations, WEST SIDE STORY s’impose en film de territoire et de frontières – il est donc aussi un western, urbain – et fait de New York le théâtre du monde. Que la ville soit en partie en ruines, sur le point d’être gentrifiée, n’est pas la moindre des idées politiques du film où, de la pauvreté, des gravats et d’une lutte des classes invisible, forcément insidieuse, naît la haine. Il raconte frontalement notre époque, dans tout ce qu’elle a d’effrayant – la peur de l’autre, le repli sur soi, le virilisme.

Et Spielberg et son chef opérateur Janusz Kaminski d’y opposer une caméra libre, aérienne, qui se joue des frontières, des lignes, des grillages, des escaliers. Qui va vers les êtres et les unit en un tourbillon virtuose. Chaque image, de la lumière aux costumes, raconte puissamment quelque chose – un exemple parmi d’autres  : les hommes sont ternes, les femmes porteuses de couleur. Et à la réalité s’oppose alors l’artificialité. Celle du chant, évidemment, mais aussi celle de purs gestes de mise en scène qui reconfigurent le monde – lorsque Tony et Maria se parlent pour la première fois derrière les gradins, la lumière est idyllique, puis soudainement crue et triviale lorsque la guerre des gangs s’insinue dans leur bulle. Les femmes dansent et moquent le patriarcat ; Tony apprend l’espagnol  : peu à peu des mains se tendent, des ponts se construisent. Bien sûr, qui a lu « Roméo et Juliette » sait que l’amour ne suffit pas. Mais à l’instar de ses héros, de ces « hommes et femmes debout » qu’il aime filmer, celles et ceux qui « continuent à aspirer à mieux », Steven Spielberg ne cessera jamais de tout faire pour rendre le monde plus acceptable et beau qu’il ne l’est. 

De Steven Spielberg. Avec Rachel Zegler, Ansel Elgort, Ariana DeBose. États-Unis. 2h37. En salles le 8 décembre

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