THE POWER OF THE DOG : chronique

30-11-2021 - 16:55 - Par

THE POWER OF THE DOG : chronique

Jane Campion renvoie les mythes américains à leur violence fondatrice et les cowboys à leur toxicité dans un western sensuel et funeste. Des grands espaces aux regards revolver, une maîtrise absolue de la mise en scène et du cadre.

 

C’est peut-être parce que face à elle, s’étendent les grands espaces du Montana (en fait, filmés en Nouvelle-Zélande), un champ infini où le regard peut se perdre, que celui de Jane Campion est si précis, si déterminé dans son storytelling. THE POWER OF THE DOG se raconte tellement par l’image – ce que le cinéma moderne a tendance à oublier, faisant progresser l’action d’abord par les mots – qu’il demande une attention de tous les instants, devant la richesse d’informations que contient chaque cadre, chaque choix de mise en scène. Les dialogues, plus rares, ne sont que des traits de caractère, ils reflètent seulement un état d’esprit, une pensée qui s’échappe d’un corps qui veut pourtant tout contenir par pudeur ou par protection. Phil Burbank (Benedict Cumberbatch, dans la prestation la plus mémorable de l’année) est un cowboy grand, massif, dont les cuissardes en cuir lui donnent l’aplomb d’un ogre. Il balade sa silhouette robuste, mutique et inquiétant, faisant de tout sol qu’il foule son territoire. Il ne parle que pour intriguer ou convoquer les souvenirs de Bronco Henry, celui qui lui a appris à être un homme. Phil appelle son frère George (Jesse Plemons) « fatso », « gros lard », ce dernier ne montrant que peu d’intérêt à la force et l’endurance, mais davantage aux affaires et à la prospérité. Aux provocations de son aîné, il oppose un mutisme, dont on ignore s’il s’agit de quiétude, de défiance ou de timidité. Ce silence, il le rompt pour rassurer Rose (Kirsten Dunst), enfermée dans sa solitude, tenancière d’une auberge où Phil et son équipe de cowboys viennent ripailler et faire peur aux clients par leur sérieux mortel et leurs airs goguenards. Quand Peter (Kodi Smit-McPhee), le fils de Rose, grand garçon taiseux et doux, vient les servir, il ne récolte que brimades et moqueries. Car avec son air chétif et son teint pâlot, il lui manque tous les attributs de la virilité. Et d’ailleurs quand Rose va épouser George, que le couple va emménager dans la maison familiale, Phil va lui apprendre, à Peter, ce que c’est qu’être un homme.

Jane Campion déploie sur les terres du grand Ouest la carte de la masculinité et observe avec le regard acéré ce qu’est le mythe américain. Ces cowboys juchés sur leurs chevaux, aux mains calleuses de trop travailler le cuir… Ce ne sont ni la gentillesse ni la tendresse qui fera tourner le pays… C’est ainsi qu’avec cette histoire du début du XXe siècle, la réalisatrice nous raconte l’universelle quête de performance qui fait non seulement courir le monde occidental mais autorise les hommes à répandre leur toxicité sur « les plus faibles ». La violence masculine ruisselle pour faire régner le malaise. Que cache ce dévorant besoin de nuire ? Phil Burbank et le fantôme de Bronco Henry sont partout à harceler, juger, interrompre un morceau de piano quand Rose, bientôt présentée comme un trophée à ses beaux-parents, s’entraîne. Ils dévorent tout. Si THE POWER OF THE DOG rappelle parfois Tennessee Williams, c’est que les femmes se désespèrent de la brutalité des hommes, que les maris sombrent dans l’égoïsme et que les garçons glabres doivent redoubler de malice pour subsister. Du lien entre Peter et Phil naît le trouble chez les personnages, mais aussi chez le spectateur qui décèle alors derrière la toxicité une fêlure, un questionnement identitaire réduit au silence par les injonctions patriarcales. L’Americana chez Jane Campion, c’est autant la violence des sentiments refoulés que la bestialité de l’instinct de survie quand un gentil garçon veut juste sauver sa mère. Film de paradoxes et de faux-semblants, THE POWER OF THE DOG peut déployer des trésors de délicatesse le temps d’un plan serré qui mène à la mort, histoire de célébrer la victoire du détail, de la minutie, de la précision face à la démonstration de force. La maîtrise du cinéma est absolument totale.

De Jane Campion. Avec Benedict Cumberbatch, Kodi Smit-McPhee, Kirsten Dunst, Jesse Plemons. États-Unis. 2h05. Sur Netflix le 1er décembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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