Cannes 2014 : MR. TURNER / Critique

15-05-2014 - 14:35 - Par

De Mike Leigh. Sélection officielle, en compétition.


Synopsis officiel : “Mr. Turner” évoque les dernières années de l’existence du peintre britannique, J.M.W Turner (1775-1851). Artiste reconnu, membre apprécié quoique dissipé de la Royal Academy of Arts, il vit entouré de son père qui est aussi son assistant, et de sa dévouée gouvernante. Il fréquente l’aristocratie, visite les bordels et nourrit son inspiration par ses nombreux voyages. La renommée dont il jouit ne lui épargne pas toutefois les éventuelles railleries du public ou les sarcasmes de l’establishment. A la mort de son père, profondément affecté, Turner s’isole. Sa vie change cependant quand il rencontre Mrs Booth, propriétaire d’une pension de famille en bord de mer.

Qu’un cinéaste guère formaliste comme Mike Leigh puisse s’attaquer au destin d’un des inspirateurs de l’impressionnisme, un maître de la lumière, en l’occurrence William Turner, ne peut qu’intriguer. Voire enthousiasmer grandement, si l’on imagine l’œuvre du peintre piraté par le cinéma de Leigh – caractérisé par une confrontation récurrente entre humanisme et misanthropie, tragédie et comédie, amertume et mélancolie. MR. TURNER débute sous les meilleurs auspices : rarement aura-t-on vu Leigh faire preuve d’une telle magnificence esthétique. La précision de ses compositions, la manière dont la caméra évolue via de subtils mouvements avant de venir se fixer sur le cadre parfait, la lumière : tout concourt à faire de MR. TURNER une véritable expérience d’esthète, où le peintre devient littéralement personnage de ses propres toiles. Un premier pied posé dans cet univers qui s’avère d’autant plus engageant que Leigh conserve sa patte habituelle de chroniqueur social acerbe et rigolard. Le monde qu’il met en scène s’organise en bal des cuistres et des geignards, la famille même de Turner apparaît en décalque victorien des Simpson, tandis que la personnalité de l’artiste-titre, paillarde et bourrue, semble contrebalancer (contredire ?) la finesse de ses toiles. Sauf que passée cette introduction, souvent drôle et chaleureuse, Mike Leigh perd le fil. MR TURNER se fait plus policé, moins vif aussi, le récit plus conventionnel et maladroitement elliptique. Surtout, le propos du cinéaste s’avère, si ce n’est nébuleux, du moins trop simple pour convaincre. Sa description de l’artiste comme figure tyrannique, elle-même tourmentée par le regard de l’autre – critique, publique –, un autre n’ayant aucune clé sur l’art puisque ne le pratiquant pas, tombe peu à peu dans l’aigre convenu. Voire dans la facilité, quand Leigh se moque de la critique lors d’une scène de discussion de salon certes poilante, mais assez stérile. Surtout, MR. TURNER ne fait preuve d’aucune pédagogie envers son public : si l’on ne demandait pas à Leigh de lorgner vers le didactisme des biopics à l’américaine, il n’offre absolument aucune porte d’entrée au public novice, qui se retrouvera ainsi sans doute déconcerté face à ce film ambitieux mais parfois ronflant, superbe esthétiquement mais émotionnellement proche de l’autisme.

De Mike Leigh. Avec Timothy Spall, Dorothy Atkinson, Marion Bailey. Grande-Bretagne. 2h29. Prochainement

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