ENEMY : chronique

27-08-2014 - 08:30 - Par

Denis Villeneuve continue de prouver son immense talent avec ce thriller identitaire. Une expérience de cinéma hors du commun.

Adam (Jake Gyllenhaal), professeur à l’université, loue un film conseillé par un collègue. Dans une scène, il remarque au second plan un acteur lui ressemblant trait pour trait. Intrigué, il va rechercher l’identité de son doppelgänger. La situation dérape quand les deux hommes se rencontrent… Impossible d’en dire plus sur ENEMY. Il serait difficile de le résumer davantage, tant il s’avère nébuleux – dans le bon sens du terme –, gorgé de fausses pistes et détours, mû par une puissante et sensorielle étrangeté. En dire plus, ce serait donc en dire trop. Surtout que le nouveau film de Denis Villeneuve (tourné avant PRISONERS) fait partie de ces œuvres se dévoilant par touches intimistes et impressionnistes, par la grâce d’une ambiance opaque mêlant habilement songe et réalité en un ballet dont il est difficile de décoder les tenants et les aboutissants. Cette sensation d’assister à un cauchemar éveillé est prégnante à chaque scène d’ENEMY, où les rues de Toronto sont souvent désespérément vides, où les personnages expriment leur frustration, leur colère ou leur agressivité sexuelle avant tout par leurs silences ou leur langage corporel. Villeneuve convoque aussi bien l’étrangeté lynchienne (on pense à LOST HIGHWAY) – que la folie polanskienne (RÉPULSION, notamment) et bâtit pourtant un thriller psychologique comme aucun autre, requérant l’attention constante du spectateur. Comme le signifie la phrase d’accroche ouvrant le film – « Le chaos est un ordre qui n’aurait pas encore été déchiffré » – ENEMY affiche une narration heurtée jouant avec la linéarité du récit. Là réside sans doute la clé du mystère qui entoure le destin d’Adam et de son double parfait Anthony – campés par un Jake Gyllenhaal prouvant encore un peu plus l’étendue de sa palette et la précision de son jeu. À chacun de remettre de l’ordre dans les éléments pour que se dévoile une logique narrative. Là réside aussi la puissance du propos de Villeneuve qui, de métaphores en allégories, explore les rapports de force et de pouvoir entre Homme et Femme ou les obsessions et appréhensions masculines à l’égard de la vie de couple. Mais ici, qui est réellement le prédateur ? Qui subit les assauts sauvages de l’autre? Sans doute que chaque spectateur aura son interprétation d’ENEMY et de sa fin hautement surprenante –et totalement flippante. Jusqu’au-boutiste dans son ambiguïté, ENEMY va loin, très loin, dans le malaise et pour cette raison, risque de perdre bon nombre de spectateurs. Mais quiconque acceptera de se perdre dans ce voyage d’une noirceur redoutable aura du mal à s’en départir.

De Denis Villeneuve. Avec Jake Gyllenhaal, Mélanie Laurent, Sarah Gadon. Canada. 1h30. Sortie le 27 août

 

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