HIPPOCRATE : chronique

02-09-2014 - 10:29 - Par

Une tranche de vie du milieu hospitalier français, où se confrontent deux visions de la médecine. Fascinant.

En choisissant de clore sa sélection par le second long-métrage de Thomas Lilti, La Semaine de la Critique avait fait un choix étonnant. Après nous avoir présenté des films d’auteur ambitieux, audacieux, parfois provocants, issus des quatre coins du monde, voilà que la plus « défricheuse » des programmations cannoises se terminait en apothéose avec HIPPOCRATE, un film français en apparence bien sage. Mais c’est peut-être le signe le plus fort que la Semaine pouvait envoyer au petit milieu du cinéma. Oui, il existe un cinéma français populaire, accueillant, bien écrit, bien joué qui in fine pourrait même nous bousculer. Pas besoin d’esbroufe, de concept tortueux, ou de sujet brûlant pour épater : HIPPOCRATE s’appuie sagement mais sûrement sur une écriture précise et un casting curieusement malin. Surtout, Thomas Lilti n’a aucune prétention ou de sur-moi d’auteur. Au vue de son sujet, on pourrait craindre qu’HIPPOCRATE nous rejoue sous forme d’une fiction maladroite tout ce que le cinéma documentaire à la Depardon sait capter avec tact. Il y a quelques années, Maïwenn présentait son POLISSE qui, surfant au « ras du réel », flirtait avec le reportage façon Zone interdite. Mais contrairement à Maïween, Lilti n’instrumentalise pas les situations qu’il décrit pour mettre en scène sa propre puissance de réalisateur. Un peu en retrait, son regard, nourri de son expérience personnelle, observe non pas tant des médecins ou des infirmières réduits à leur fonction sociale, que véritablement des personnages, tous construits. La grande richesse et la grande intelligence du film, c’est justement de ne pas se contenter du Réel, du choc que peut produire un lieu comme l’hôpital, du glauque qui forcément peut surgir à tout instant. Au contraire, le film travaille une forme plus romanesque, une sorte « d’Education» plus sociale que sentimentale où les deux « héros » antagonistes confrontent leur idéalisme. D’un côté, Benjamin (Vincent Lacoste) qui enfile sa blouse d’interne comme un costume de super-héros indéfectible, de l’autre Abdel (Reda Kateb) qui fait de la médecine un sacerdoce social. La nonchalance du premier fait des étincelles face à la brutalité et la raideur du second. Petit à petit, le film devient le récit d’une double désillusion qui finit par brouiller le manichéisme du début. Difficile de savoir où se situe exactement Lilti dans la guerre qui oppose ces deux personnages. Ce n’est que lorsque le film prend une vraie tournure politique, quittant ainsi l’arrogance et l’individualisme vers le collectif, que le réalisateur monte au créneau avec force. À la fois radiographie du monde contemporain et « coming of age » en milieu hospitalier, HIPPOCRATE n’est peut-être pas un grand film éblouissant. Mais il redore, à sa manière et intelligemment, le blason du cinéma français en ajoutant ce qu’il faut de fiction et de précision à la toute-puissance du réalisme.

De Thomas Lilti. Avec Vincent Lacoste, Reda Kateb, Marianne Denicourt. France. 1h41. Sortie le 3 septembre

 

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