WHITE GOD : chronique

03-12-2014 - 12:35 - Par

Conte, satire sociale, anticipation, horreur… : pour son nouveau film, Kornél Mundruczó convoque tous les genres et signe un film choc à la puissance émotionnelle dévastatrice.

Kornél Mundruczó a changé. Mieux : Kornél Mundruczó a évolué. Par le passé, on n’avait pu qu’admirer les talents visuels du cinéaste hongrois, la richesse de ses compositions, la précision de sa mise en scène, l’importance des décors dans la psychologie de ses personnages. Sauf que, de JOHANNA à TENDER SON en passant par DELTA, son cinéma semblait souvent trop cérébral, guère généreux. Avec WHITE GOD, il change la donne. À elle seule, la première scène – une jeune fille traverse à vélo Budapest vidée de ses habitants, bientôt poursuivie par une meute de chiens – suffit à mettre le palpitant en émoi. En contant l’histoire de Lili, jeune ado de 13 ans qu’une loi absurde sur les chiens croisés va séparer de Hagen, son compagnon à quatre pattes, Mundruczó se lance un défi de taille : chroniquer l’amitié homme-animal sans tomber dans l’anthropomorphisme et se servir de ce thème classique pour livrer un pamphlet politique des plus contemporains. Ici, le chien errant fait ainsi office de symbole des bannis de la société, de ces marginaux honnis par le système libéral ou par la norme sociétale, forcés à manger dans les poubelles, regardés de biais ou craints par une foule désensibilisée à la souffrance d’autrui. Du coup, Mundruczó joue clairement sur une certaine irréalité, où l’Homme se montre volontairement très hostile à l’égard des chiens bâtards et a des réactions extrêmes presque dignes d’une satire burlesque. Une façon très maligne de souligner l’absurdité que représente la peur de l’autre et de mettre en exergue les conséquences tragiques qu’elle entraîne. Qu’ils soient traqués par la fourrière – dans des séquences déchirantes aux atours de rafles –, pourchassés par un boucher sanguinaire, trahis par un SDF sournois, vendus comme de vulgaires bouts de viande ou entraînés à des combats à mort, les chiens sont ici les héros malheureux d’un conte classique digne de Dickens, d’une fable sociale où Hagen revêtirait les guenilles des « Misérables » de Victor Hugo. Un propos que le spectateur prend d’autant plus en plein visage que Mundruczó saisit à la perfection l’émotion abstraite et quasi métaphysique qui réside dans le lien pur et indéfectible unissant un chien à son maître. Le réalisateur filme ses stars à quatre pattes avec une noblesse bouleversante, leur offre une aura fantasmatique dans des plans jamais vus – de véritables tours de force techniques –, mais ne se sert jamais d’eux pour asseoir sa propre virtuosité. Car visiblement humble face aux chiens qu’il met en scène, Mundruczó oublie son rigorisme passé et opte pour une mise en scène énergique, au service d’une vivacité visuelle et émotionnelle terrassante. Jusqu’à ce dernier tiers, aux thèmes proches d’un DRAGONS 2 par exemple et qui mène à un troisième acte à la puissance digne du final de LA PLANÈTE DES SINGES : LES ORIGINES. Là, le réalisateur affiche un appétit de filmer encore plus évident, convoquant les codes du film d’horreur, de la SF d’anticipation, du slasher et du revenge movie pour une conclusion euphorisante, poignante et dont chaque image déborde de cinoche. Frissons, larmes, euphorie : Kornél Mundruczó prouve avec WHITE GOD qu’il sait enfin insuffler du cœur à son cinéma, sans perdre une once de sa rigueur ni de la puissance picturale et thématique qui le caractérisait jusqu’à présent.

De Kornél Mundruczó. Avec Zsófia Psotta, Sándor Zsótér, Lili Horváth. Hongrie / Allemagne / Suède. 1h59. Sortie le 3 décembre

 

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