Que reste-t-il du rap hardcore et des témoignages hargneux de N.W.A. ? STRAIGHT OUTTA COMPTON retrace une success story, compte les morts dans la douleur et rappelle qu’une bande de rappeurs énervés ont mis les ghettos californiens sous les projecteurs.
Regarder N.W.A. – STRAIGHT OUTTA COMPTON, c’est être témoin d’un bout d’Histoire aux résonances parfaitement contemporaines. Le film nous propulse à la fin des années 80, quand les rappeurs armés de refrains incendiaires devenaient les porte-paroles de minorités ghettoïsées et allaient eux- mêmes chercher, à coup de revendications enflammées, le rêve américain que la société leur refusait. En ce sens, STRAIGHT OUTTA COMPTON est un film d’époque, revenant avec brio sur ce moment précis où naît le gangsta rap, ce hip-hop qui met en scène la violence urbaine pour mieux la dénoncer. La reconstitution de l’époque est brillante. L’atmosphère de tensions raciales est étouffante, la violence des gangs est prégnante. La société ne fait plus de quartier : être noir, c’est être coupable aux yeux de la police. De ce contexte – rappelant sans détour ce que vivent aujourd’hui les États-Unis avec leurs bavures policières quotidiennes –, émergent trois génies de la musique : Eazy- E, qui avait le talent de déceler et exploiter le potentiel commercial de tout, drogue et musique ; Dr Dre, DJ aux doigts d’or et mélodiste hors pair ; Ice Cube, observateur timide transformant toutes les injustices quotidiennes en rimes assassines. D’abord F. Gary Gray filme un groupe d’adolescents au talent brut, embryonnaire. Ils sont gauches, drôles et surdoués. Ce sont des têtes à claques qui vont changer l’Amérique en devenant le « premier supergroupe de L.A. » et en mettant les quartiers durs de Los Angeles au cœur de la scène artistique américaine. STRAIGHT OUTTA COMPTON est porté par la force de leur rap évidemment ; les scènes de concert sont anthologiques. Mais le film est aussi électrisé par les provocations : à un abus policier succède « Fuck Tha Police » ; à une mise en garde succède une « infraction »; à une insulte, un flot d’insanités ; à un passage à tabac, des violentes émeutes où les gangs s’unissent contre les autorités. F. Gary Gray fait de STRAIGHT OUTTA COMPTON un film en mouvement, puissant, exalté par l’énergie du désespoir. Mais il devient aussi particulièrement émouvant, lorsqu’il s’attarde sur les liens unissant Eazy-E, Dr Dre, Ice Cube et Jerry Heller, étrange patriarche. Dans un relent shakespearien, la tragédie guette le fils préféré. Certains ont pointé du doigt des approximations historiques : le scénario, en grande partie basé sur les souvenirs et les témoignages de Dr Dre et Ice Cube, referait l’histoire (sans les ignorer complètement, il botte un peu en touche sur la violence et la misogynie du groupe) et célèbrerait un peu trop les réussites professionnelles de ses deux producteurs stars (voir le générique de fin). En l’état, N.W.A. est juste un quintet de mauvais garçons qui chatouillent parfois la batte de baseball et au pire, un fusil à pompe pour rigoler. C’est tout le paradoxe de STRAIGHT OUTTA COMPTON : c’est un film hyper vindicatif contre les problèmes raciaux américains ; c’est aussi un biopic sur des rappeurs qui ont créé un exutoire salvateur pour toute une jeunesse ; mais il remet aussi le sentimentalisme au cœur du ghetto, comme un coup de chapeau tiré à BOYZ’N THE HOOD, cité à profusion, et à ce cinéma black des 90’s, rendu possible par l’avènement du rap, sur lequel l’industrie pariait gros, avant de s’en lasser. STRAIGHT OUTTA COMPTON est un vestige traversé de fantômes. Celui d’Eazy-E, mort du sida en 1995, celui de Tupac Shakur – trop réel sous les traits de Marcc Rose –, ceux d’autres personnalités du rap dont la pertinence s’est étiolée avec le temps, celui du hip-hop hyper engagé… L’idée est d’autant plus émouvante que le film est porté par trois acteurs au talent virginal, Corey Hawkins, Jason Mitchell et O’Shea Jackson Jr., dont la fraîcheur et l’inexpérience viennent agiter une nouvelle scène hollywoodienne qui ronronne méchamment.
De F. Gary Gray. Avec Jason Mitchell, Corey Hawkins, O’Shea Jackson Jr. États-Unis. 2h20. Sortie le 16 septembre
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