MIDNIGHT SPECIAL : chronique

16-03-2016 - 10:34 - Par

Berlin 2016 : MIDNIGHT SPECIAL / Critique

Dans l’écho des références à un cinéma des années 80, Jeff Nichols continue de sonder l’Amérique fantasmatique. Avec MIDNIGHT SPECIAL, il signe un grand drame de SF, intense et déchirant, ultime preuve qu’il est bien l’héritier de Steven Spielberg.

MidnightSpecial-Poster« Midnight Special ». Une chanson folk qui, dans sa version rock signée Creedence Crearwater Revival, était entonnée par Dan Aykroyd et Albert Brooks dans le prologue du film LA QUATRIÈME DIMENSION. Avec son quatrième long-métrage, Jeff Nichols fait donc acte de référence. Un jeu de filiation qui, pourtant, n’a rien d’une énième poussée délirante de nostalgie : MIDNIGHT SPECIAL apparaît autant habité par ses aînés que par tout ce qui, depuis SHOTGUN STORIES, a fait la singularité de Jeff Nichols. Une télé égraine les tenants d’un fait divers : un jeune garçon, Alton (Jaeden Lieberher), a disparu, probablement enlevé. Le public le découvre dans un motel, avec deux hommes, Roy (Michael Shannon) et Lucas (Joel Edgerton). Ils fuient les autorités et une communauté religieuse pour protéger Alton et son secret : il possède des pouvoirs qui pourraient changer le monde… On décèle souvent les grands films à leur première scène et les grands cinéastes à leur capacité à propulser en quelques secondes un récit vers des strates émotionnelles insoupçonnées. La première séquence de MIDNIGHT SPECIAL est un modèle : en quelques détails – un fusil sur un lit, un regard gorgé de non-dits, un poste de télé résonnant dans le silence –, Nichols construit une tension captivante et lie le spectateur aux personnages en un pacte indéfectible. En quelques minutes d’introduction, il tient le public dans le creux de sa main et, tout comme il avait dévoilé Mud de manière quasi surnaturelle sur les rives du Mississippi, il fait de MIDNIGHT SPECIAL un creuset à fantasmes dont la portée visuelle est ensorcelante. Une voiture bifurque sur une bretelle à toute vitesse, des phares déchirent la nuit, des débris en feu zèbrent le ciel et entaillent le sol, des autorités anonymes poursuivent des héros qui, filmés en longue focale, s’élèvent au-dessus de la mêlée. La force de la mise en scène, précise et élégante, sert ici un permanent effet de sidération – le surnaturel est filmé comme un surgissement. Là, Jeff Nichols se saisit avec appétit du plus spielbergien des films de MidnightSpecial-Pic1John Carpenter (STARMAN) pour rejouer tout le cinéma du père d’E.T. Pourtant, il bâtit un film profondément personnel, à nouveau hanté par des peurs domestiques, où la cellule familiale est menacée par des éléments extérieurs furieux et enragés que l’on ne peut que fuir sans pouvoir totalement leur échapper. À bien des égards, Nichols s’impose encore un peu plus comme l’héritier de Spielberg : si SHOTGUN STORIES avait été son SUGARLAND EXPRESS, TAKE SHELTER son RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE et MUD son E.T., MIDNIGHT SPECIAL est un apogée, une compréhension parfaite d’un esprit de cinéma presque désuet où brio de mise en scène et sincérité émotionnelle mènent à une épure du divertissement, à un partage total avec le public. D’autant que Nichols joue brillamment avec l’héritage qui meut MIDNIGHT SPECIAL – Paul Sevier (Adam Driver) est une version jeune et inexpérimentée du Keys de E.T. –, il le condense et l’hybride pour en tirer un film profondément singulier, fait d’ambiguïté et de merveilleux, qui ne ressemble qu’à lui et à son cinéma, tout bercé qu’il est par une Amérique fantasmatique – jusque dans ce qu’elle a de plus effrayant. Dans un élan qui ébranle maintes fois, Jeff Nichols rappelle que toute grande œuvre de SF ne se joue pas tant dans les confins métaphysiques de l’univers, que dans ceux, encore plus insondables, du cœur humain. Métaphore déchirante du deuil et des peurs de la parentalité, MIDNIGHT SPECIAL finit par inverser la problématique spielbergienne : ici, le père est sur présent, sur conscient de sa tâche. « J’aime me faire du souci pour toi. Je me ferai toujours du souci pour toi. C’est comme ça », dit Roy à Alton. Alors, le jeu de filiation qu’est MIDNIGHT SPECIAL prend tout son sens : dans la figure du père, on décèle la réification des films d’antan, guides bienveillants pour un enfant qui désire imposer sa particularité. Dans les yeux sages, assurés et poignants d’Alton, enfant prodige qui pourrait changer le monde, on verrait presque ceux de Jeff Nichols, cinéaste surdoué d’à peine 37 ans qui semble faire partie de notre cinéphilie depuis toujours.

De Jeff Nichols. Avec Michael Shannon, Kirsten Dunst, Joel Edgerton. États-Unis. 1h51. Sortie le 16 mars

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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