LOVING : chronique

14-02-2017 - 12:55 - Par

LOVING : chronique

Humaniste et politique, tout en élégance et délicatesse, sublimement mis en scène et interprété, LOVING dresse le portrait d’un couple qui se bat pour avoir le droit de s’aimer. Un classique instantané.

Loving-PosterDans l’Amérique de la fin des années 50, les lois ségrégationnistes empêchent Richard (Joel Edgerton), un homme blanc, d’aimer et d’épouser Mildred (Ruth Negga), une femme noire. L’État de Virginie leur nie jusqu’au droit de vivre ensemble, et les condamne à la prison, puis à l’exil. Le combat du couple entrera dans l’Histoire. D’aucuns pourraient imaginer que LOVING, le nouveau long-métrage de Jeff Nichols, drame tiré de faits réels, ne pourrait être plus éloigné de son précédent, MIDNIGHT SPECIAL, fable SF sur le deuil. Ce serait trop vite oublier la cohérence de l’œuvre de Nichols qui, de film en film, creuse une multitude de thèmes profondément personnels. Tout comme MIDNIGHT SPECIAL, LOVING met en scène la traque absurde et irraisonnée de la différence – les deux films partagent même une séquence automobile nocturne à l’imagerie et aux enjeux similaires. Mais dans LOVING, tout se fait plus palpable, dépouillé du mystère métaphysique de MIDNIGHT SPECIAL. On retrouve le Jeff Nichols terrien, qui contrebalance la dureté aride de son Sud des États-Unis natal par une élégance qui n’a pas d’égale chez ses contemporains. Refusant de débuter LOVING par le traditionnel carton « Tiré de faits réels » – qui enserre tout récit dans une obligation contractuelle avec l’Histoire –, Nichols rappelle qu’il est avant tout un cinéaste, un metteur en scène de la réalité, qu’il façonne selon son vouloir. Cette qualité, on la retrouve dans la patiente exposition : l’amour de Richard et Mildred explose à chaque plan et une inquiétude latente a beau affleurer dans leurs regards, le monde réel extérieur semble presque hors-jeu. Le racisme et la ségrégation ne sont presque pas évoqués. Lorsqu’ils apparaissent, c’est dans un surgissement où, par sa mise en scène – montage, lumière et effet sonore –, Nichols en souligne l’absurdité. Pourtant, LOVING ne tombe dans aucun passage obligé ou attendu. Avec sa maîtrise habituelle, Jeff Nichols désamorce toute effusion et fait de la retenue le maître-mot du film. Ses cadrages séparent et réunissent subtilement, la tension se construit dans les silences et les mots que l’on dit à demi, l’amour se démontre dans les disputes que l’on refuse d’avoir, l’impuissance contrite de Richard est portée par le score aérien signé David Wingo. Nichols creuse peu à peu un fossé entre l’Histoire en marche – celle menée par Martin Luther King – et le quotidien révoltant, au point mort, de Richard et Mildred. Intime jusqu’à l’extrême, LOVING n’en demeure pas moins d’une ampleur remarquable, notamment grâce à son élan sentimental. Un personnage d’avocat campé par Nick Kroll (qu’auraient tout à fait pu incarner James Stewart ou Tom Hanks) apporte un humour sensible et une lueur d’humanisme simple mais transcendante. Il réifie cet espoir, très capraesque ou spielbergien, selon lequel la vie et l’amour triompheront quoi qu’il advienne. Si LOVING bouleverse tant, c’est que, comme ses interprètes, les splendides Ruth Negga et Joel Edgerton, il semble être constamment au bord des larmes. Lorsqu’elles se permettent enfin de couler, leur puissance d’évocation dévaste : Mildred et Richard ne sont plus des héros de l’Histoire et encore moins les simples sujets d’un biopic. Ils sont chacun de vous, chacun de nous, car Jeff Nichols a filmé leur peine et leur amour comme une douleur universelle. Rarement a-t-on la sensation aussi indéniable et déchirante d’avoir vu un grand film.

De Jeff Nichols. Avec Ruth Negga, Joel Edgerton, Nick Kroll. États-Unis. 2h03. Sortie le 15 février

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