Denzel Washington adapte une pièce de théâtre – qu’il a lui-même jouée à Broadway – dans un film bulldozer, impressionnant.
En 2010, Broadway reprogramma, vingt-cinq ans après sa création, « Fences », une pièce-phare d’August Wilson. Denzel Washington et Viola Davis en gagnèrent un Tony Award chacun, des récompenses soulignant un peu plus la force des écrits de l’auteur, qui dédia sa vie à raconter le quotidien des Africains- Américains sur plusieurs décennies. Une majeure partie de la distribution rempile aujourd’hui pour l’adaptation de « Fences » au cinéma et Denzel enfile, en plus, la casquette du réalisateur –il s’agit de son troisième film. Le revoilà dans la peau de Troy Maxson, éboueur de Pittsburgh, mari d’une femme aimante et dévouée (Rose, jouée par Viola Davis), père de Lyons (Russell Hornsby) qu’il a eu d’un premier mariage mais aussi de Cory (Jovan Adepo), sage gamin qu’il éduque à la dure. L’adolescent est un espoir du football mais ses rêves de passer pro sont anéantis par ce père trop écrasant. En son temps, Troy était un joueur de base-ball prometteur mais un Noir ne pouvait espérer faire carrière en Major League et gagner sa vie avec le sport. Amer, il se méfie du progressisme brandi par la jeunesse et entretient un rapport conflictuel avec son pays. La famille Maxson vit comme un dommage collatéral des malheurs de Troy; Rose, Cory et Lyons existent au jour le jour en marge de la ségrégation –le récit les montre en paix avec la société– et pourtant évoluent dans l’ombre du racisme dénoncé par le père. Photographie de la vie africaine-américaine à Pittsburgh dans les années 1950, FENCES est politique. Mais le film est avant tout une histoire de pères tout-puissants dans laquelle viennent s’imbriquer des pensées fortes sur l’abnégation ou la dignité masculine. Ayant conservé des notions très théâtrales de la géographie et de la temporalité, Denzel Washington confine le film au foyer des Maxson, et raconte les week-ends, quand Troy rumine dans les vapeurs d’alcool et construit la barrière en bois que Rose lui réclame depuis des semaines. Tour à tour nostalgique, enivré, honteux, omnipotent, injuste, repentant, Troy fait le tour de sa vie, repeint le futur en gris, pleure sur son impuissance et s’interroge: l’Amérique est-elle vraiment le pays du mérite? Les grandiloquentes logorrhées du personnage, éructées par un Denzel inébranlable et excessif, embarquent FENCES dans une véritable course d’endurance. Le film est un rouleau compresseur où chaque face-à-face fait naître des puissances de jeu exceptionnelles (Viola Davis, remarquable), bouillonnant d’une si grande richesse thématique qu’il en est écrasant. Metteur en scène ou comédiens, tous embrassent la pure tragédie qu’a écrite August Wilson sur l’Amérique.
De Denzel Washington. Avec Denzel Washington, Viola Davis, Mykelti Williamson. États-Unis. 2h18. Sortie le 22 février
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