BLACK PANTHER : chronique

06-02-2018 - 18:34 - Par

BLACK PANTHER : chronique

Même passé sous fanion Disney/Marvel, Ryan Coogler (FRUITVALE STATION, CREED) parvient à faire un blockbuster à son image : social, politique et sentimental. Avec cette démarche personnelle, il vise l’universel. Jamais un comic book movie n’aura été aussi positif et important.

Chaque réalisateur vous le dira, comme un automatisme ronflant : un film Marvel est toujours à l’image de son réalisateur. C’est une affirmation bien poussive : toutes les lumières et tous les découpages se ressemblent, tous les dialogues sont gangrénés par la connivence avec le spectateur, tous les récits sont prévisibles. Aucune audace en matière de mise en scène, de ton ou de politique. Il n’y a rien qui ressemble plus à CIVIL WAR que THOR 2, à AVENGERS 2 que IRON MAN 2. Arasés pour plaire à tout le monde, le box-office à 900 millions de dollars en ligne de mire, les films Marvel sont aussi inéluctables et déplaisants que la grippe saisonnière – et bien plus inoffensifs ! Mais peut-être commence-t-on à s’ennuyer autant derrière l’écran que devant : face à une « marque » en cours d’épuisement comme THOR (THE DARK WORLD a plafonné à 644 millions de dollars de recettes) et une autre pour qui il y a tout à faire (BLACK PANTHER), Marvel fait le pari du lâcher prise. Le studio confie les rênes de RAGNAROK au trublion néozélandais Taika Waititi pour qu’il en fasse une comédie pop et référencée et BLACK PANTHER à celui qui ne cesse d’interroger la crise identitaire et raciale américaine, Ryan Coogler.

1992, Californie, Oakland. Légèrement en retrait de Los Angeles qui, cette année-là, crame sous les émeutes consécutives à l’affaire Rodney King. Au pied d’une barre d’immeuble, des gamins jouent au basket. Quelques étages plus haut, va se nouer une tragédie : le roi de Wakanda T’Chaka, qui a placé des espions partout dans le monde pour s’assurer que personne ne vienne piller ses richesses, démasque un traître. C’est le point de départ d’un film shakespearien en diable dans lequel un jeune héritier, T’Challa, va devoir guider son royaume soit vers les voies de l’immobilisme et du repli, soit vers celles plus périlleuses de l’ouverture et de l’implication. Lorsqu’Erik Killmonger, un ancien SEAL reconverti dans le mercenariat, vient lui disputer le trône, ce n’est pas seulement la stabilité du pays qui est menacée mais les convictions mêmes de T’Challa. Devant BLACK PANTHER, on n’est pas franchement dans le MCU – il n’y a bien que les présences artificielles d’Ulysses Klaue (Andy Serkis, déjà d’AVENGERS 2) et d’Everett K. Ross (Martin Freeman, déjà de CIVIL WAR) pour nous rappeler que le film appartient à un univers partagé. On n’est à peine devant un comic book movie. Ryan Coogler a préféré créer un film hybride, au croisement de l’intrigue de palais – où, à l’image des BD « Black Panther » récentes de Ta-Nehisi Coates, on disserte du rôle du régent, de la place de la nation wakandaise dans le monde et d’un protectionnisme féroce –, de la tragédie classique (avec au menu, complots, allégeances et trahisons, assassinats, provocations en duel et combats rituels) et du film d’action, le tout sous influences nettes afro-futuristes. La technologie côtoie la magie, le sacré côtoie la science-fiction, le post-féminisme n’est qu’un geste politique parmi d’autres, toujours plus forts. Ce pays africain domine tous les autres, mais le monde actuel peut-il seulement l’entendre ?

Questionnant sans cesse la nature que doit revêtir la réponse noire au racisme institutionnel, BLACK PANTHER orchestre en mode blockbuster le sempiternel combat, crucial dans la communauté afro-américaine, entre une idéologie pacifiste et une idéologie radicale. T’Challa le roi Africain contre Erik l’Afro-américain, l’étrange colonisateur, dont la crise identitaire ne semble pouvoir se résoudre que grâce aux préceptes d’un Malcolm X ou d’un Marcus Garvey. Alors même que la communauté noire américaine souffre du manque de grands leaders, BLACK PANTHER fait ce qu’il fait de mieux, il interroge : quel rôle et quelle responsabilité pour un homme noir puissant face à tous ceux qui n’ont pas de pouvoir ? Face à un peuple qui voit ses enfants trop souvent grandir sans leurs pères (incarcération massive ou mort précoce), quelles routes s’offrent aux jeunes Noirs orphelins ? Ryan Coogler n’a pas de certitude mais il provoque le spectateur, parce qu’il a écrit un vilain qui n’en est pas vraiment un. C’est un antagoniste, aux griefs justifiés, dont on comprend le but et la manière dont il veut l’atteindre. On sympathise parfois, comme T’Challa. C’est inédit dans le blockbuster actuel : aucun manichéisme ne vient bêtifier BLACK PANTHER, film dialectique.

Le héros effectue un travail psychologique et idéologique et personne n’est vraiment le même au début qu’à la fin. Erik Killmonger, point fort du film (d’autant que Michael B. Jordan n’a jamais été aussi puissant), est d’abord un ennemi intime et c’est du plus profond de ses états d’âme que vient le danger imminent qui pourrait plonger le monde dans l’apocalypse. Finies les menaces abstraites venant d’une autre galaxie, Ryan Coogler, porté par le motif social récurrent de son cinéma, réinvente le blockbuster cérébral, politique, sentimental et pas vraiment cool. Il fait un cinéma de la compassion débarrassé du super-héros providence au profit de la combativité et de l’effort collectifs. Il ose la contemplation, dans une entrée en matière totalement dévouée à admirer Wakanda, ses richesses et sa beauté (le production design est époustouflant), c’est moins le tout pyrotechnique et le tout action qui l’intéresse que tous les doutes et les douleurs que la plate-forme blockbuster lui permet de partager avec nous. Dans le film résonne une phrase très vraie : en parlant de technologie, Shuri, la sœur très savante de T’Challa, affirme « Ce n’est pas parce que quelque chose marche qu’il ne peut pas être amélioré ». Pour le Marvel movie, c’est fait.

 

De Ryan Coogler. Avec Chadwick Boseman, Michael B. Jordan, Danai Gurira, Lupita Nyong’o. États-Unis. 2h14. Sortie le 14 février

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