SUSPIRIA : chronique

14-11-2018 - 09:50 - Par

SUSPIRIA : chronique

Faux remake mais vrai film cinglé, ce SUSPIRIA convoque Cronenberg et le fantôme de Fassbinder dans une messe noire dansée somptueuse – et absconse.

 

S’attaquer à un remake, radical et personnel, du SUSPIRIA de Dario Argento, c’est en soit une gageure. Mais ajouter de surcroît plus d’une heure de métrage à cette histoire d’école de danse tenue par des sorcières, ça tient d’une effronterie de sale gosse assez attachante. Pourtant, Luca Guadagnino fait tout pour rendre son SUSPIRIA profondément mal-aimable. Minimaliste et raide là où l’original était baroque et foisonnant, le film déjoue très vite les attentes du spectateur venu se repaître d’horreur et de gore, mais aussi celles du cinéphile en quête d’hommage. C’est le mal absolu qui intéresse Guadagnino, pas la frayeur cradingue de l’original. Ancrant son récit dans le climat parano du Berlin des années 1970 (ambiance bande à Baader et chasse aux anciens nazis), le réalisateur de CALL ME BY YOUR NAME orchestre un incroyable ballet des corps et des humeurs aussi physique qu’abstrait. Physique car ce SUSPIRIA est un grand film sur la danse et sa mystique. Affublée du look de la grande chorégraphe Pina Bausch (robe et cheveux longs), Tilda Swinton (plus Tilda Swinton que jamais) manipule les corps des danseuses (Dakota Johnson et Mia Goth, impressionnantes), les étire, les bouscule comme si elle cherchait à leur arracher quelque chose. À la lisière de la transe, le film colle des frissons. Abstrait car SUSPIRIA diffracte l’horreur annoncée en un climat étrange, un jeu de miroir déformant très pesant qui tient tout autant d’une menace surnaturelle (très lointaine) que d’un jeu de possession entre créateur et créature. Allégorique et pourtant hyper concret, SUSPIRIA ressemble à un improbable remake de BLACK SWAN par Fassbinder (les cadres dans le cadre, la hantise du mal ordinaire, les corps féminins sublimés comme des marionnettes, le kitsch, Ingrid Caven) et Cronenberg (le body horror). Cérébral, jouant constamment avec le mauvais goût et le ridicule, le film fait de son gynécée démoniaque une boîte de Pandore dont les soubresauts du couvercle attisent la curiosité et créent la tension. S’ouvrira, s’ouvrira pas ? La bascule finale, entre Pasolini (quand on parle du mal absolu, on se doit de citer SALO) et grand guignol laissera forcément pas mal de monde sur le bas-côté. On peut trouver ça génial, osé et novateur ou pas. In fine, on n’est pas bien sûrs de savoir ce que Guadagnino veut dire et si lui-même le sait. C’est parfois le revers un peu pénible de ce brillant cinéma d’auteur qui fait « genre » à défaut de l’aimer. Ça donne des films dérangeants, pleins de cinéma mais parfois abscons. Le prix à payer de l’audace ? 

De Luca Guadagnino. Avec Dakota Johnson, Tilda Swinton, Mia Goth. États-Unis. 2h32. Sortie le 14 novembre

3Etoiles

 

 

 

 

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