PAPICHA : chronique

09-10-2019 - 09:33 - Par

PAPICHA : chronique

Pour son premier long de fiction, Mounia Meddour frappe fort avec PAPICHA, geste militant et humain, romanesque et habité.

 

Triste signe des temps, le cinéma a plus que jamais besoin d’exalter la révolte face à l’oppression. Ces récits d’insurrection nécessaire et de combat pour la liberté prennent souvent des formes convenues de films « à sujet ». Au contraire habité de colère et d’ardeur, PAPICHA surprend et bouleverse en traitant cette question par un biais en apparence « futile » : la mode. Dans l’Algérie troublée des années 1990, une bande de filles continuent d’être des jeunes de leur époque. Elles chantent, dansent, font la fête. L’une d’elle, Nedjma, invente et vend des robes. Plus qu’un droit à la coquetterie, c’est un droit à être féminine, libre de son corps, de ce qu’elle montre ou ne montre pas que revendique l’héroïne. Une énergie vitale et créatrice qui va se confronter à la montée terrifiante d’un intégrisme tout-puissant. Ce va-et-vient constant entre le prosaïsme pop (des posters de Roch Voisine ou de Madonna, des cassettes audio qu’on rembobine à la main, des perles, des bijoux, la douceur d’un tissu…) et la détresse des personnages crée une empathie immédiate. Mais la réalisatrice Mounia Meddour a l’intelligence de ne pas en faire qu’un groupe. Elle les singularise, les oppose parfois à travers leurs craintes et leurs visions du monde, et pense ainsi le féminin au pluriel. C’est peu dire que ce casting est une révélation. Émouvantes et profondément modernes, les actrices (Shirine Boutella, Amira Hilda Douaouda, Zahra Doumandji et la bouleversante Lyna Khoudri) forment le cœur battant et indivisible de PAPICHA. Meddour réussit à unir les contraires en faisant un film lumineux profondément triste, un film de bande, de joie, de rire hanté par la mort et la bêtise. Une approche qui crée des échos avec aujourd’hui. Par sa mise en scène nerveuse, au plus près des corps et des visages, Meddour filme comment le quotidien se tache de sang, comment ce qui était hier qu’un plaisir devient une lutte. En essayant de ne jamais transformer sa bande et son héroïne frondeuse en symboles, elle garde un pied dans le quotidien, dans la vie, et insuffle une énergie et une indignation contagieuses. Le défilé de mode que veut organiser Nedjma n’a rien d’extraordinaire mais dans un monde qui ne tourne plus rond, il devient un acte de résistance. PAPICHA tire peut-être un peu sur la corde avec quelques scènes un peu trop mélodramatiques. Reste qu’elles produisent un électrochoc et une incompréhension salvatrice. C’est peut-être là, la force du film : ne pas être un simple témoin mais s’indigner encore et toujours, pour continuer à être libre.

De Mounia Meddour. Avec Lyna Khoudri, Shirine Boutella, Nadia Kaci. Algérie / France. 1h46. Sortie le 9 octobre

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