Dossier : 22 JUMP STREET, suite impériale

27-08-2014 - 14:20 - Par

À l’occasion de la sortie en salles de 22 JUMP STREET, découvrez notre interview des réalisateurs Phil Lord et Chris Miller.

Ce dossier a été précédemment publié dans Cinemateaser Magazine n°36 daté juillet-août 2014 

Sarcasmes antisystème, auto-références, déconnes méta, esthétique outrancière et portrait d’une Amérique grandiloquente : les réalisateurs Phil Lord et Chris Miller, relèves de la comédie US, baladent leurs marottes de film en film, que ce soit dans l’animation ou le live action. Une patte que Cinemateaser décrypte avec eux à l’occasion de la sortie de 22 JUMP STREET, suite « plus chère et plus idiote » que l’original.

« C’est un challenge appréciable de se charger d’un projet avec la certitude qu’il ne suscitera pas l’enthousiasme a priori. » Il y a deux ans, avant la sortie de 21 JUMP STREET, le scénariste Michael Bacall ne faisait pas le malin. L’auteur de SCOTT PILGRIM savait qu’une adaptation cinéma de la série 80’s ne soulèverait pas les foules d’un enthousiasme dément. Car, sur le papier, 21 JUMP STREET avait tout pour être l’ultime preuve qu’Hollywood n’invente plus, se repose sur des licences connues et se nourrit d’idées consanguines exaltant davantage le bégaiement que l’inventivité. « Nous avons tout fait pour transcender ce que l’on attendait de nous », ajoutait alors Bacall. Et il avait raison : à sa sortie, 21 JUMP STREET a défié toutes les prévisions. Artistiques et commerciales. Non seulement le film a suscité une bienveillance critique générale, mais il a aussi engrangé 201 millions de dollars de recettes dans le monde, pour 42 de budget. On loue alors les prestations de Jonah Hill et Channing Tatum. Surtout, on applaudit la décision, risquée et contestée au départ, de faire de 21 JUMP STREET une pure comédie. Soit exactement le parti pris qui avait poussé STARSKY ET HUTCH au désastre. Lorsque Cinemateaser les rencontre en juin, les réalisateurs Phil Lord et Chris Miller expliquent la nécessité de ce changement de ton par rapport à la série : « Pour des tas de raisons, adapter le programme télé requérait de ne pas le prendre trop au sérieux, analyse Miller. Lui-même avait un certain humour et il fallait que nous embrassions ça. » Pour Lord, « il y a quelque chose de foncièrement drôle dans le fait de devoir prétendre être un gamin à nouveau. De revenir à son adolescence. Cela dit, je crois que le film a été une réussite parce qu’on se concentrait davantage sur les personnages et leur relation. Ça ne pouvait pas être uniquement ‘Regardez comme on était cons dans les 80’s !’. Il fallait que ce soit un peu plus profond que ça afin de capter l’attention du public. » Miller complète : « Nous avons confectionné 21 JUMP STREET avec beaucoup d’amour, nous n’avons pas voulu en faire une parodie non plus. ». Pourtant, lorsque Sony donne son feu vert à Jonah Hill pour développer une suite, les deux réalisateurs, alors bien occupés sur LA GRANDE AVENTURE LEGO, hésitent à rempiler. « C’est difficile, une suite, nous explique Miller. Encore plus une suite à une comédie car le plus souvent, vous avez déjà utilisé vos meilleures blagues dans le premier volet. »

« Alors au départ, nous avons refusé 22 JUMP STREET », nous déclare Chris Miller. Tout comme ils n’avaient pas rempilé pour TEMPÊTE DE BOULETTES GÉANTES 2, suite de leur première réalisation. Et comme ils ne dirigeront pas non plus LA GRANDE AVENTURE LEGO 2. Il faut dire qu’avec LEGO, le duo a livré l’une des diatribes les plus véhémentes et sournoises qui soit contre le mercantilisme et le cynisme des grandes corporations. Le tout emballé dans un gros produit de studio destiné en partie à faire vendre des briques encastrables. S’ils s’étaient jetés sur 22 JUMP STREET comme des charognards en manque de boulot, nul doute que le geste se serait retourné contre eux. Alors pourquoi revenir, au final ? Pourquoi accepter de diriger cette suite en particulier et pas les autres ? « Parce qu’un live action est bien plus court à mettre en boîte, nous rétorque Miller en explosant de rire. C’est vrai : l’animation requiert plus d’engagement, ça demande trois ans à plein temps. Nous avons signé pour 22 JUMP STREET en juillet 2013 et nous voilà, devant vous, un an plus tard, à le promouvoir. » Surtout, le duo, en pesant le pour et le contre, a compris que « réaliser une suite ressemble à une relation amoureuse : ça se résume à essayer de retrouver la magie de la première rencontre, nous dit Phil Lord. On a trouvé ce parallèle intéressant et cela nous a convaincus. » Un twist se cache derrière toute l’affaire. Dans le premier volet, le chef adjoint de la police Hardy (incarné par Nick Offerman) disait : « On relance un programme de flics infiltrés datant des 80’s. Vous comprenez, les pontes manquent de créativité et n’ont absolument plus d’idées alors tout ce qu’ils font maintenant c’est recycler les merdes du passé en espérant qu’on ne s’en rende pas compte. » Uh uh, petite vanne méta sur le statut de reboot de 21 JUMP STREET. Rebelote pour 22 JUMP STREET, qui rigole délibérément d’être une suite. Ici, les bureaux sont plus grands. Le programme Jump Street a plus d’argent. Tout est plus… tout. « On voulait jouer avec le fait que les suites en font toujours plus, nous explique Chris Miller. Elles coûtent plus cher, elles sont dans la surenchère au point d’être parfois ridicules. Donc dès le départ, nous avons voulu avoir le plus de plans de grue ou d’hélicos possibles. 22 JUMP STREET est spécifiquement over the top : nous aussi, on essaie de faire une suite plus chère et plus idiote. » Sales gosses un jour… Avec 22 JUMP STREET, Phil Lord et Chris Miller perpétuent en quelque sorte le credo qui était déjà celui de leurs précédents films et plus particulièrement de LA GRANDE AVENTURE LEGO : intégrer le système, se servir de ses outils et du confort qu’ils offrent, pour mieux rire et dézinguer la machine dont ils ont conscience d’être des rouages.

Cette manie que leur cinéma a de s’auto-brocarder, voire de cracher amicalement dans la soupe, ne relève pour autant d’aucun cynisme. LA GRANDE AVENTURE LEGO exaltait des valeurs simples et enfantines – le merveilleux, pour simplifier – que Lord et Miller érigeaient en barrière aux dérives du système. Utopique, sans doute. Mais sous la pantalonnade sardonique de leurs films vibre un petit cœur chamallow. Impossible, donc, de ne pas voir les héros de la saga JUMP STREET comme des décalques des cinéastes. Le script de 22 JUMP STREET compte pousser encore un peu plus loin ce qui faisait le sel de 21 JUMP STREET : l’amitié virile et vacharde, mais sentimentaliste, qui unit Jenko (Channing Tatum) à Schmidt (Jonah Hill). 22 JUMP STREET entend mettre à mal leur relation, tester sa résistance en y intégrant un élément perturbateur : un joueur de foot de la fac où les flics sont infiltrés pour démanteler un énième trafic de drogue. 21 JUMP STREET poussait la bromance dans ses retranchements crypto gay et 22 JUMP STREET ne compte pas lever le pied. Selon Phil Lord, « tout le monde dans le public sait que Jenko et Schmidt sont engagés dans une relation romantique. Mais eux ne s’en rendent pas compte. Cette ironie est le moteur des deux films, effectivement. » Certes. Mais quid des réalisateurs eux-mêmes ? Hilarité du duo qui, non, n’est pas engagé dans une relation romantique mais qui acquiesce néanmoins. Et disserte sur le fait de savoir tout à fait ce que signifie d’avoir un partenaire : « Phil et moi bossons ensemble et une grande amitié nous unit, explique Chris Miller. En tant que mâles américains, on a beaucoup de mal à parler de nos sentiments et de nos émotions. Mais oui, on peut dire que notre amitié masculine s’apparente à de l’amour. Et notre collaboration, à une sorte de mariage. » Qu’ils défient un système, qu’ils convoquent le méta pour rire de la nature de leur film ou, plus outrageusement la bromance pour parler d’eux-mêmes, Phil Lord et Chris Miller en reviennent toujours au même point : tous leurs films dressent un portrait déformant de l’Amérique, de ses désirs de grandeur, de son gigantisme bling, de son ego surdimensionné. « Effectivement, approuve Phil Lord. C’est une réalité qui est en marche. Sur TEMPÊTE, Chris et moi nous disions souvent que le film parlait de la fin du Siècle Américain (expression désignant la domination culturelle et économique des États-Unis au XXe, ndlr) et des conséquences psychologiques que ce déclin pouvait avoir sur des protagonistes s’étant construit sur des rêves de grandeur. » Une idée que les réalisateurs abordent dans la saga JUMP STREET via deux personnages de losers s’imaginant en héros américains typiques. « Oui, Jenko et Schmidt se voient comme les mecs de BAD BOYS, rigole Lord. Pour nous, ce sont des Républicains, au sens américain du terme. S’ils le pouvaient, ils seraient la police du monde. Sauf qu’ils échouent toujours, ils manquent l’objectif de peu. En un sens, on peut effectivement voir en eux une satire de l’impérialisme américain. » On ne le répétera jamais assez : si Lord et Miller citent BAD BOYS (dont Jonah Hill parlait également pour le premier film), c’est parce qu’ils admirent Michael Bay. Peut-être parce que son style rentre-dedans et rutilant représente le paroxysme de ce dont ils rient dans leurs films. Comme s’ils étaient la mauvaise conscience du Roi du Kaboum. « Oui ! », répondent-ils en chœur en se marrant. « On respecte énormément Michael Bay, précise Phil Lord, car il est capable de prendre une scène, de rajouter des caméras partout et de faire des plans étranges pour donner l’illusion que c’est encore plus énorme que ça ne l’est vraiment. » Sauf que si Lord et Miller sont parvenus dans leurs deux animations à lorgner avec virtuosité du côté du Bayhem, 21 JUMP STREET s’était avéré plus pauvre visuellement, au point que leur frustration de ne pas disposer de moyens suffisants se voyait presque à l’écran. « Vous savez, il y a de la frustration sur chaque film, concède Lord. Un réalisateur veut toujours avoir plus d’argent ! ». « Et nous, c’est sûr qu’on n’aura jamais les moyens de Michael Bay, lâche Miller. Parce que si 22 JUMP STREET parodie les suites over the top à la Michael Bay, on ne pourra jamais faire mieux ou plus gros que lui. À côté de l’un de ses films, 22 JUMP STREET a l’air d’un projet indépendant irlandais ! (Rires.) » Ce qui tombe plutôt bien : si les deux cinéastes nous assurent que, venant de l’animation, « il est naturel [pour eux] de penser en premier lieu en termes esthétiques et visuels », ils ont veillé, sur 22 JUMP STREET, à ce que les performances d’acteur demeurent les stars. « On ne voulait pas non plus en faire des caisses avec la caméra », assure Phil Lord.

Lors de son premier week- end d’exploitation américaine, 22 JUMP STREET a engrangé 57 millions de dollars de recettes – son prédécesseur en avait récolté 36 –, dominant le très attendu DRAGONS 2. Une suite qui fait plus gros, plus fort : la déconne méta continue de se mordre la queue. Si Sony n’a pas encore annoncé la mise en chantier de 23 JUMP STREET, le producteur Neal Moritz pense savoir pourquoi la saga croît en popularité : « Les films ont du succès si le public s’intéresse aux personnages. Et ces gars (Lord et Miller, ndlr), sont des génies pour ça. Ils peuvent trouver le cœur de toute situation, aussi folle et absurde soit elle. » Il est peut-être là, le style Lord / Miller, mais eux ont une manière bien plus drôle de le synthétiser : « On essaie de mixer Jean-Luc Godard et Michael Bay, de façonner quelque chose qui soit à la fois très malin et très idiot », nous explique Chris Miller. « On tente aussi d’allier le vrai au faux. Les jouets dans LEGO ou la parodie dans JUMP STREET, c’est faux : on joue à faire semblant. Mais en même temps, ces films sont régis par de vraies émotions et de vrais personnages. Notre but est de constamment rappeler au public qu’il est en train de regarder un film. On souhaite l’emporter avec une histoire et des sentiments, sans pour autant le laisser oublier que tout ça est artificiel. » Une recette qui, en 2014, entre les triomphes commerciaux et critiques de LA GRANDE AVENTURE LEGO et de 22 JUMP STREET, leur a permis de réaliser une véritable OPA sur la comédie américaine.

22 JUMP STREET, de Phil Lord et Chris Miller. En salles
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