Toronto 2014 : MADEMOISELLE JULIE / Critique

07-09-2014 - 22:10 - Par

Liv Ullmann s’empare de la pièce d’August Strindberg pour une énième adaptation qui brille grâce à ses impeccables interprètes.

Maintes fois adapté à la télévision ou au cinéma – dont en 1951 par Alf Sjöberg, qui reçut alors à Cannes le Grand Prix, équivalent à l’époque de la Palme d’Or actuelle –, « Mademoiselle Julie » d’August Strindberg est une des pierres angulaires du théâtre suédois. Du théâtre tout court. Un monument universel décrivant de manière tragique les jeux de séduction et de l’amour, les rapports de pouvoir entre les classes, les conséquences dramatiques d’un trop plein d’ambition ou d’humiliation… En 1890, en Irlande, la nuit de la Saint Jean, alors que son comte de père est absent, Mademoiselle Julie passe la nuit à affronter John, valet des lieux, alors que la fiancée de celui-ci, la cuisinière Kathleen les observe, impuissante et désespérée. Mais dans ce ballet séducteur et sexuel, qui manipule qui ? La solitude émotionnelle de Julie est-elle plus forte que l’ambition aigre et démesurée de John ? En s’attaquant à ce monolithe intimidant, Liv Ullman, actrice mythique et collaboratrice régulière (et compagne) d’Ingmar Bergman, prend le parti de conserver la théâtralité du récit. Si elle sort par moments de la cuisine – qui était le décor de la pièce –, sa mise en scène n’en demeure pas moins collée au mécanisme même d’une représentation avec son lot d’entrées et sorties de scène ou sa délimitation très claire des séquences. En ressort une certaine raideur stylistique qui, si elle manque un brin d’ambition, a le mérite de créer une certaine tension, plutôt pesante. Malheureusement, cette atmosphère étrange et étouffante se relâche – la faute à un montage parfois complaisant, étirant artificiellement la durée du métrage et ne relayant que peu l’urgence des émotions décrites dans le texte – et le spectateur se retrouve vite enserré dans un cocon dont la sophistication n’empêche pas à un certain ennui de s’installer. Cependant, l’intérêt de MADEMOISELLE JULIE est perpétuellement rehaussé par les interprétations de Jessica Chastain, Colin Farrell et Samantha Morton. La première en une Julie « qui ne semblait pas faite pour les chagrins de ce monde », explore un spectre émotionnel aussi vaste que complexe : de dominatrice humiliante pour laquelle aucune empathie n’est possible – elle va jusqu’à empoisonner sa chienne pour éviter qu’elle accouche de bâtards – à victime de son rang, de ses frustrations et de sa propre inconsistance. Farrell, lui, joue également sur un terrain glissant, du valet soumis et romantique au monstre dévoré par ses traumas d’enfance et sa soif de réussite. Quant à Samantha Morton, égale à elle-même, elle cache derrière une apparente fragilité une puissance de jeu discrète et une fermeté sans égale.

De Liv Ullmann. Avec Jessica Chastain, Colin Farrell, Samantha Morton. Norvège / Irlande. 2h13. Sortie le 10 septembre

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