Toronto 2014 : IMITATION GAME / Critique

09-09-2014 - 10:18 - Par

Un crowd pleaser noble et alerte qui célèbre autant le génie d’un homme oublié de l’Histoire qu’il exalte la beauté de la différence.

« Parfois, ce sont ceux à qui on ne pense jamais qui font les choses auxquelles personne n’aurait pensé. » Dans cette réplique, répétée trois fois dans IMITATION GAME, réside le cœur même de ce biopic d’Alan Turing, cryptologue et mathématicien qui durant la Seconde Guerre mondiale brisa Enigma, le prétendu indéchiffrable code secret nazi, et ce faisant, inventa ce qui deviendra par la suite l’ordinateur informatique. En effet, au-delà de ses intentions biographiques et historiques, IMITATION GAME exalte la différence et la richesse que celle-ci apporte aux sociétés. Car Turing aimait les hommes, à une époque où la loi condamnait encore l’homosexualité – le mathématicien fut à ce titre condamné à la castration chimique en 1952 avant qu’il ne se suicide en 1954. Dans son équipe vouée à changer le cours de l’Histoire : des hommes certes, mais une femme aussi, quand on voulait encore cantonner le soit disant sexe faible à des tâches de secrétariat ou de bonnes mères de famille. Pompeux et prêchi prêcha, IMITATION GAME ? Au contraire. En dépit de l’utilité de son message et du caractère instructif de son histoire, le film de Morten Tyldum (HEADHUNTERS) se révèle un crowd pleaser alerte et parfois insolent, porté sur un humour forcément très anglais, où le bon mot côtoie le décalage, où l’on défie l’autorité avec le sourire, où la noirceur des événements ne prive jamais la légèreté ou la beauté d’émerger. Pédago sans sombrer dans le didactisme ou l’évidence, le scénario de Graham Moore privilégie la caractérisation des personnages au spectaculaire, les dilemmes cornéliens à l’héroïsme tête baissée, la finesse de dialogues aux petites phrases sentencieuses et déroule ainsi le destin d’Alan Turing avec un indéniable et noble élan romanesque donnant au film des allures quasi anachroniques. Un cinéma à l’ancienne et empreint de classicisme que l’on pourrait hâtivement jugé comme calibré pour rafler une foultitude d’Oscars – et il en raflera. Pourtant, IMITATION GAME, en cela bien aidé par une interprétation nuancée et digne de Benedict Cumberbatch, ne se prive jamais d’explorer sans détour la psychologie retorse de Turing, d’étudier ses névroses et douloureuses blessures, de disséquer la complexité de sa personnalité faussement arrogante. Là pourrait cependant apparaître l’un des reproches essentiels à formuler : dans son dernier acte, IMITATION GAME se refuse à filmer totalement l’aboutissement du destin de Turing. Pour asséner avec encore un peu plus de voix que « ce sont ceux à qui on ne pense jamais qui font les choses auxquelles personne n’aurait pensé », peut-être que Morten Tyldum aurait dû rappeler que oui, un homosexuel a grandement contribué à sauver l’Europe des nazis. Et que oui, parce qu’il était homosexuel, cet homme est mort seul et ostracisé. En confrontant le spectateur de manière plus frontale à cette honteuse tragédie, IMITATION GAME aurait peut-être gagné encore un peu plus en noblesse et dignité.

De Morten Tyldum. Avec Benedict Cumberbatch, Keira Knightley, Matthew Goode. Grande-Bretagne / États-Unis. 1h53. Sortie le 28 janvier 2015

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