La jeunesse n’est qu’un souvenir fuyant dans le plus bouleversant des films vus à Cannes cette année.
Michael Caine est un ancien compositeur et chef d’orchestre que la Reine d’Angleterre souhaite faire sortir de sa retraite. Harvey Keitel est un cinéaste de prestige qui tente de lancer un nouveau projet avec son actrice-muse en vedette. Les deux s’offrent une cure thermale en Italie. Avec le temps, Paolo Sorrentino s’est adouci et lévite entre grâce et volupté, tout en conservant ce génie plastique ahurissant qui traverse tous ses films –photographie, composition, découpage, montage, illustration sonore : tout est pensé, millimétré, dirigé vers l’intention émotionnelle. Ici encore, Sorrentino met de l’ordre esthétique partout. Sa caméra est aérienne, son montage élégiaque, les visages de ses acteurs captés avec une intensité folle. La musique pop, comme toujours, a une place vitale –la première séquence est une reprise de « You Got The Love » de Candi Staton, on entend et on voit également Mark Kozelek, alias Sun Kil Moon, en sorte de griot discret. Mû par un humour complice de chaque instant, YOUTH chronique le temps qui passe, les souvenirs qui se délitent, les regrets qu’on accumule, les rancœurs aussi. Les efforts que chacun fait pour améliorer la vie d’autrui, souvent pour des « résultats insignifiants ». YOUTH sonde les regards fatigués de ceux n’ayant plus rien à prouver, de ceux qui essaient encore. Sorrentino passe en une seconde du grotesque au poétique, du splendide au vulgaire, en une sorte de ballet baroque où le trivial l’emporte parfois sur l’essentiel, où la simplicité est déroulée sous des apparats volontairement et artificiellement complexes. Dans YOUTH, une gamine de 12 ans peut délivrer une leçon de vie à un acteur en plein doute existentiel et Harvey Keitel peut déclarer le plus sérieusement du monde que « l’émotion, c’est tout ce qu’on a ». Pourtant, derrière ces atours luxueux et glamour, derrière cette ostentation et ce maniérisme, Sorrentino déborde d’une sincérité évidente. Son propos n’est pas feint. La grâce ne tient à rien: à un brisement de voix de Michael Caine contenant un univers d’émotions déchirantes. À un sourire de Paul Dano dans lequel réside une sourde frustration qui éclate à l’écran sans la moindre effusion. YOUTH, c’est sans doute ça: un volcan en fusion de sentimentalisme, qui tente de cacher son chaos émotionnel derrière une esthétique frivole et une écriture ironique –quitte à déraper parfois dans le troisième acte et sa peinture sarcastique du monde du cinéma. « Nous sommes des incompris car nous nous sommes laissés aller à un peu de légèreté », explique le personnage de Paul Dano. Une réplique en forme de profession de foi.
De Paolo Sorrentino. Avec Michael Caine, Harvey Keitel, Rachel Weisz. Italie. 1h58. Sortie le 9 septembre
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