DETROIT : chronique

11-10-2017 - 14:46 - Par

DETROIT : chronique

Kathryn Bigelow fait régner la terreur à Detroit mais rate la mise en perspective sociale et politique de son film.

Un fossé sépare les intentions de DETROIT de ce qu’il est au final. Pas de doute: Kathryn Bigelow et son scénariste Mark Boal voulaient s’emparer du Black Lives Matter et, par un savant jeu de miroirs entre le passé et le présent, dénoncer une société américaine raciste par nature. Ces deux-là, on les connaît. Avec DÉMINEURS et ZERO DARK THIRTY, ils ont gagné une réputation de cinéastes conscients, chatouillant leur pays en titillant sa fascination pour la violence, la souffrance et la mort. Un jeu dangereux duquel ils étaient jusque-là sortis vainqueurs, grâce à deux films aussi politiques qu’emballants. Mais là, avec DETROIT, le « power couple » trébuche. En intitulant leur film DETROIT, en référence aux émeutes raciales qui ont ensanglanté la ville en 1967, ils visaient à décrypter les événements dans les faits mais surtout dans leur portée symbolique. Car Detroit 1967, comme Miami 1980 ou Los Angeles 1992, ne sont pas des « incidents isolés » mais forment un tissu du système raciste américain. D’abord, par une animation de peintures de Jacob Lawrence, Kathryn Bigelow essaie de donner une perspective historique : la société américaine fait en sorte que les Noirs et les Blancs soient deux communautés non miscibles. Mais l’élément déclencheur – un raid dans un lieu de vente d’alcool illégal – est, lui, traité presque par l’anecdote. Arrestations, protestations… pillages. La montée de violence, la revendication, le sentiment d’injustice sont quasiment inexistants. Handicapés par une contextualisation et une narration bancales, Bigelow et Boal accélèrent vers la tuerie du Motel Algiers, où une poignée de flics vont abattre froidement trois Afro-Américains. Alors qu’elle tient là sa chance de retricoter, par le cinéma, toute l’iniquité du système – policier, judiciaire, civil… –, la réalisatrice fait le choix contestable du quasi-torture- porn psychologique dans un premier temps, puis dans un second temps, de singulariser le racisme des policiers. Les agents en cause sont stigmatisés par leurs collègues, saqués par leur hiérarchie, ce qui – on le sait d’autant plus aujourd’hui que les bavures contre les Afro-Américains sont plus médiatisées – n’est pas forcément en accord avec les revendications du mouvement BLM. Transformant Algiers en fait divers et la violence policière en exception, plus intéressés par le flic raciste (joué par Will Poulter) que par ses victimes, qu’ils privent de consistance (le seul rôle vraiment fouillé revient à Jacob Latimore), Boal passe totalement à côté de la portée politique du film et, à force de vouloir faire du cinéma rugueux, Bigelow multiplie les maladresses de mise en scène. Le message passe mal.

De Kathryn Bigelow. Avec Will Poulter, Jacob Latimore, John Boyega. États-Unis. 2h23. Sortie le 11 octobre

2Etoiles5

 

 

 

 

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