Entretien avec Bill Camp

15-06-2018 - 17:36 - Par

Entretien avec Bill Camp

Récemment à l’affiche de RED SPARROW et HOSTILES, actuellement dans la série THE LOOMING TOWER, bientôt dans WILDLIFE de Paul Dano : l’occasion de discuter avec l’un des meilleurs character actors de l’époque.

 

Cet entretien a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°73 daté avril 2018

 

C’est l’un des plus grands et des plus discrets character actors du cinéma américain. Habitué aux planches, il ne court pas après les films, encore moins l’argent, il est heureux comme ça : furtif voire invisible. Pour Francis Lawrence, il est de cette trempe de comédiens qui non seulement ont les épaules pour faire face aux stars de la liste A mais les forcent à muscler leur jeu. Bill Camp, de PUBLIC ENEMIES à LOVING, de MIDNIGHT SPECIAL à HOSTILES, de LINCOLN à RED SPARROW, est une légende vivante.

 

Bill-Camp-Pic1Comment vous retrouvez-vous impliqué dans un film, généralement ?
Ces quelques dernières années, et HOSTILES en est un bon exemple, ça a été un engrenage où le travail a appelé le travail. Si vous regardez certains des réalisateurs avec qui j’ai bossé, pour la plupart ils se connaissaient les uns les autres. J’ai eu assez de chance – on a dire ces quatre ou cinq dernières années – qu’on voie mon travail et ensuite qu’on m’appelle, moi ou mon agent. J’ai eu aussi beaucoup de chance que les projets qu’on m’a proposés soient vraiment fascinants. Qu’ils aient de très bonnes histoires. Et de très bons réalisateurs attachés. Je ne suis pas sûr que vous ayez envie d’entendre ces histoires absolument ennuyeuses de plusieurs décennies de déception et de dur labeur, qui font qu’aujourd’hui, je suis un acteur de 50 ans à New York qui a la chance d’être toujours en activité. On va dire que c’est un effet domino. Et quand j’ai un coup de fil, c’est vraiment fantastique.

Vous avez travaillé plusieurs fois avec Jeff Nichols, Joel Edgerton, Scott Cooper, Paul Dano… Est-ce que c’est comme ça que ça arrive ? Vous rencontrez des gens, vous vous entendez bien professionnellement et vous collaborez à nouveau ? Est- ce que c’est un processus très humain finalement ?
Je crois oui. Je viens du théâtre et j’ai été convaincu très tôt (et je le suis toujours d’ailleurs) que c’est comme ça que ça marche, en tous les cas au théâtre, avec cet esprit de troupe. À chaque fois que j’ai très bien travaillé, c’était avec des gens dont j’étais assez proche, que je connaissais très bien. Tout le monde savait ce que l’autre était capable de faire et on savait comment travailler ensemble. Il y avait une excellente communication et on ne peut pas nier que la communication, c’est vital. Je n’ai pas l’impression que ce soit très différent sur un plateau de cinéma. Quand les choses fonctionnent, quand un certain processus de travail marche, quand la communication est claire et quand il y a un esprit de famille ou un feeling très spécial sur le plateau, tout devient plus créatif. Et c’est beaucoup plus excitant. C’est effectivement la quatrième fois que je travaille avec Joel – il y a eu les films de Jeff et de Scott et maintenant Francis. Il y a peut-être un peu de coïncidence là- dedans, mais je pense qu’il y a aussi le fait que nous apprécions le travail que nous faisons ensemble, avec le réalisateur. Nous passons du bon temps, c’est vraiment agréable. Tout comme quand un réalisateur peut travailler avec le même chef opérateur ou la même équipe technique, il y a un niveau de confiance qui est toujours déterminant. Je crois qu’effectivement, et j’aime beaucoup la manière dont vous l’avez exprimé, c’est une manière très humaine de créer quelque chose.

Vous travaillez toujours sur des films qui ont des vrais scénaristes de talent, voire des dramaturges à l’écriture. Jeff Nichols et Scott Cooper sont d’excellents auteurs, Aaron Sorkin, Oren Moverman (LOVE & MERCY), John Ridley (12 YEARS A SLAVE), Steven Knight (WOMAN WALKS AHEAD).
Tony Kushner, qui a écrit LINCOLN !

Bill-Camp-Pic4Exactement. Pensez-vous que vous allez vers ce genre de scripts parce qu’ils ont toujours de la place, un ou deux personnages solides, pour des character actors comme vous ?
C’est une question fascinante parce que ça me fait penser que presque tous ces gens ont plus ou moins un lien avec mes expériences de théâtre. Regardez Oren, il est très ami avec Mike Nichols, qui m’a dirigé dans ‘Mort d’un commis voyageur’ à Broadway. Nous n’avions qu’un degré de séparation finalement… Oren est venu voir la pièce. La même chose s’applique à Aaron Sorkin qui est venu me voir dans ‘Les Sorcières de Salem’ et autre chose aussi, je crois… Tony Kushner, je le connais depuis qu’on a été ensemble à la fac à Juillard, au milieu des années 80 ; j’ai joué quelques pièces à lui. Nous avons un passif lui et moi. Je crois que Jeff m’a vu dans un truc aussi… Ce sont de brillants scénaristes et lorsqu’ils me font parvenir un script, je vois tout de suite ce que je peux apporter au personnage afin qu’il ne reste pas simplement un personnage bien foutu sur le papier. La rencontre avec ces projets se fait à mi-chemin entre l’envie de storytellers de travailler avec moi et mon envie de travailler avec ce qu’ils ont écrit. C’est une sorte de symbiose des désirs – même si cela m’est difficile d’exprimer clairement ce que c’est.

Vous allez à la recherche de rôles ou laissez-vous les gens venir à vous ?
Oh non, je ne cherche pas. Ma vie est tellement remplie par ailleurs. (Rires.) J’élève un fils, je fais les courses en temps et en heure, j’essaie d’être un bon fils aussi pour mes propres parents. Je suis très heureux avec ce que j’ai déjà. Et je m’en sors pas mal. On s’occupe bien de moi, j’ai mon lot d’amour, et ça me va parfaitement. J’ai des amis qui font ça, qui sont toujours à l’affût des projets qui sont en train de se monter, ils essaient de lire les scénarios, ils vont se présenter d’eux- mêmes à un réalisateur ou quelqu’un de la production. Je ne fais pas ça. En revanche, je fais de mon mieux pour rester en contact avec les réalisateurs brillants pour qui j’ai bossé. Je me disais justement tout à l’heure qu’il fallait que j’envoie un mail à Stephen Frears (avec qui il a collaboré dans TAMARA DREWE, ndlr) – c’est pas pour faire du name dropping, hein – mais j’ai connu avec lui l’une des mes meilleures expériences. Le seul truc pour lequel je suis proactif, c’est le théâtre. J’ai un collaborateur avec qui je travaille en permanence, Robert Woodruff, et nous avons d’ailleurs un projet sur le feu depuis un an environ que nous produirons l’année prochaine. Grâce à cette collaboration, je ne suis jamais oisif, justement.

Vous travaillez parfois avec des jeunes gens qui en sont à leurs débuts, comme Craig Zobel avec COMPLIANCE ou Matt Ruskin avec CROWN HEIGHTS. Avez-vous l’impression que c’est important de soutenir de jeunes cinéastes qui ont besoin d’un coup de main ?
Absolument. Mais je ne le fais pas nécessairement parce que je pense qu’ils ont besoin d’aide, mais parce que j’ai vraiment envie de faire partie de ce qu’ils sont en train de faire. Je trouve les histoires qu’ils veulent raconter particulièrement stimulantes. C’est un honneur de faire partie d’une bonne histoire et donc, quand j’en trouve une et qu’on me demande d’en faire partie, je suis toujours partant. Je suis sur le point de travailler sur le long-métrage d’un jeune réalisateur qui adapte son précédent court-métrage (SKIN de Guy Nattiv, ndlr) – Oren Moverman en est producteur exécutif. Il n’a fait que quelques petits films… Mais je crois dur comme fer à son histoire, comme c’était le cas avec Craig et Matt. C’est très important pour moi de faire ça, de soutenir. Si je crois en quelqu’un en tant qu’artiste, je me fiche de savoir quel âge il a. Je veux être en compagnie de gens qui ont des choses à dire, auxquelles j’adhère.

Bill-Camp-Pic2Dans un film comme RED SPARROW, votre personnage, un agent de la CIA, est très fonctionnel, on ne sait pas grand-chose de lui. Pourtant, dès que vous jouez, c’est tout un imaginaire qui apparaît. Que savez- vous de ce personnage que nous ne savons pas ? Qu’avez-vous besoin de savoir d’ailleurs pour le jouer ?
Je sais ce que le livre fournissait comme informations (RED SPARROW est adapté du roman de Jason Matthews, ndlr). J’ai beaucoup utilisé ça. De manière générale, j’essaie d’en savoir le maximum sur mes personnages. Et après, quand j’ai tout ce que je peux avoir, je peux décider ce que je vais utiliser. Je vais donc avoir besoin de tout savoir sur Marty Gable, je veux avoir des informations au-delà de ce qui est circonstanciel. Je veux des éléments humains qui me seront utiles pour le jouer. Ce ne sont pas forcément des choses dont le public doit avoir connaissance, que je dois lui montrer ni à lui ni à la caméra. C’est plutôt mon domaine privé. J’engrange du savoir qui n’est pas toujours pertinent à tout moment, mais qui est accessible, à portée de main. En fin de compte, il n’y a que la scène qui compte et sa place dans l’histoire. Je ne crois pas avoir besoin d’attirer l’attention sur mon personnage en permanence. Ce qui m’importe c’est être crédible – ça veut dire qu’il faut que je sois honnête envers les types que j’essaie d’être.

Quand vous faites LINCOLN, 12 YEARS A SLAVE, LOVING ou HOSTILES, vous voyez-vous comme un historien ?
Oui ! En tant qu’acteur qui a la chance de faire du théâtre et du cinéma, quand j’ai l’opportunité de participer à de bonnes histoires basées sur des faits réels ou inspirées de faits réels, je dois apprendre sur cette époque. Ça m’ouvre une porte sur une période de l’Histoire et un endroit du monde. Géopolitiquement ou socialement. Il y a tellement de connaissances que j’ai acquises en tant que citoyen du monde, juste grâce à mon métier d’acteur. C’est mon devoir de lire et de faire des recherches sur l’époque de l’œuvre que je vais jouer et ça suscite en moi énormément de curiosité. On m’apprend tellement de choses. Et parfois je me rends compte à quel point je ne sais rien ou presque sur certains événements de ces dernières années. C’est ma vocation : j’ai cette curiosité, ce petit feu en moi qui m’incite à apprendre toujours plus car je sens que c’est nécessaire à mon métier. Plus d’informations veut dire plus de connaissance, ce qui me permet de prendre de meilleures décisions. Ça a été particulièrement vrai sur WOMAN WALKS AHEAD, qui n’est pas encore sorti – ça me fait penser que c’est le troisième film que je fais avec Jessica Chastain après des HOMMES SANS LOI (bien qu’on ne se donnait même pas la réplique) et LE GRAND JEU. Bref, sur WOMAN WALKS AHEAD, j’ai réalisé que j’étais très mal informé, en tant que citoyen américain, de l’histoire des Natifs, qui est le sujet du film. D’ailleurs, dans ce film, il y a Ciarán Hinds (également dans RED SPARROW, ndlr)… Lui et moi, on avait passé six mois ensemble sur scène (dans ‘Les Sorcières de Salem’, ndlr). Il vit à Paris n’est-ce pas ? Je crois bien.

Et quand vous faites CROWN HEIGHTS, la série THE NIGHT OF ou encore LOVING, est-ce que c’est votre manière de prendre part aux conversations sociales et politiques américaines ? Pensez-vous que le cinéma doit être un outil d’éducation ?
Je suis généralement une toute petite part de ces films, mais c’est effectivement une motivation. Absolument. Quand je fais LINCOLN, toutes les informations que Tony et Steven Spielberg donnent sur ce qui concerne le 13e amendement sont primordiales. Comme il est très important que notre pays connaisse l’histoire des Loving. C’est fou le nombre de gens qui n’en avaient même pas idée ! Le film rappelle où en était le pays à l’époque. C’est pour moi très important d’être au service de ce genre d’histoires.

Au début des années 2000, vous avez purement et simplement cessé de travailler en tant qu’acteur pour exercer d’autres jobs, afin de reconsidérer qu’être comédien n’était qu’un métier. C’est drôle car en Europe, on dit que le cinéma américain caractérise beaucoup les personnages à travers leur métier. Bref, pensez-vous qu’aux États-Unis, le succès est parfois trop défini par la réussite professionnelle ?
Nous nous jugeons bien trop les uns les autres sur la réussite professionnelle, oui. Et sur l’argent que nous gagnons, ou quel statut on acquiert. En tout cas, dans le milieu artistique dont je fais partie, c’est tout à fait vrai. La question me frappe, parce que quand j’ai arrêté… Je me pose encore la question de ma position dans ce milieu, de la nécessité de grimper encore plus l’échelle pour avoir encore plus de réussite… On passe tellement de temps à se poser ces questions – nous le faisons tous – mais n’est-ce pas du temps de gâché ? C’est beaucoup d’énergie. Bien sûr que les gens ont de l’ambition. Mais mon boulot, c’est d’incarner des personnages qui viennent d’autres époques, d’autres backgrounds socio-économiques. Qu’ils soient bons, méchants ou que sais-je de plus complexe encore… Et moi, je dois leur donner de la chair et de l’humanité. Et ça, je ne peux le construire qu’à partir de toutes ces choses que je fais quand je ne suis pas acteur car elles enrichissent ma vie et mon expérience de vie. J’ai toujours pensé ça. Quand j’ai pris ces années sabbatiques dont vous me parlez, c’est que j’ai eu besoin de prendre du recul. Je m’identifiais uniquement à mon travail. Ça m’usait, ça rongeait mon âme. Est-ce que ça fait sens ? Et ça revient à votre question : réduisons-nous trop les gens à leur travail ? Devrions-nous revoir notre définition de la réussite, trop souvent associée à la réussite professionnelle ? Ma propre expérience m’a fait comprendre que oui. Vous trouverez peut-être des gens qui pensent le contraire, mais pas moi. J’ai réussi à me dégoûter de mon travail à une époque, alors que je l’avais tellement aimé pendant si longtemps, que je m’étais totalement consacré à lui. C’était la seule chose que je me voyais faire. J’avais la trentaine et j’ai soudain perdu les pédales. Je ne savais pas pourquoi, alors la seule solution était de tout arrêter. Je n’avais jamais eu le courage de le faire avant, car je me disais que faire une pause dans ce métier, c’était prendre le risque de ne plus jamais retrouver de travail. Je serais forcément ostracisé, j’aurais perdu, dans un sens. Alors que ça a fait exactement l’inverse : ça m’a ouvert l’horizon, ça a élevé mes perspectives sur ce métier.

Au final, ça a fait de vous un meilleur acteur ?

Sans aucun doute.

 

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RED SPARROW, en vidéo le 8 août
WILDLIFE – UNE SAISON ARDENTE, en salles le 19 décembre

 

 

 

 

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