QUEEN & SLIM : chronique

11-02-2020 - 17:39 - Par

QUEEN & SLIM : chronique

Premier film de la clippeuse Melina Matsoukas, QUEEN & SLIM est une réussite esthétique. Le reste, c’est plus compliqué…

 

QUEEN & SLIM a un problème : il est aussi puissant visuellement que confus dans son positionnement. Le seul choix de filmer, avec des qualités plastiques indéniables, une Amérique qu’on ne voit jamais sur grand écran était en soit un geste politique quasi-inédit au cinéma. C’est dans le message du film, mis au premier plan par sa réalisatrice très engagée, que ça se complique. Est-ce qu’il prône l’émancipation par la criminalité ? Est-ce qu’il est anti-flic ? Veut-il la révolution par le sang ? Ou au final, cela donne-t-il juste l’opportunité à Melina Matsoukas, clippeuse préférée de Beyoncé, de faire de l’image chic et choc ? Est-ce pareil d’utiliser l’imagerie de confrontation dans un maelstrom pop sans questionnement moral (voir le clip « Formation ») et dans un film qui ne parle justement que de ça, que de conscience, d’exemplarité et de leadership ? Slim (Daniel Kaluuya) est le date Tinder de Queen (Jodie Turner-Smith), avocate désabusée. C’était sympa, un peu passif agressif parfois, rien de bien romantique. Slim ramène Queen chez elle mais en route, ils sont contrôlés par un policier blanc et nerveux. Ça dégénère et Slim abat le flic, après que Queen s’est fait tirer dessus. Ils le savent : la bonne foi ne plaide jamais en faveur des Noirs ; forcés à la cavale, ils se dirigent vers le sud en espérant pouvoir quitter le pays. Le long d’un road movie où l’Amérique citadine et blanche se change progressivement en une Amérique rurale et noire, l’affaire prend de l’ampleur et les deux ennemis publics deviennent les héros de leur communauté. Il n’y avait pourtant pas de politique derrière leur acte. Melina Matsoukas orchestre donc la friction entre ces deux jeunes gens et ceux qu’ils sont destinés à devenir. Leur action étant justifiée auprès de la population noire par le fait que le flic était récidiviste… Une facilité. Récit à la BONNIE AND CLYDE, mais bien plus partisan que le film d’Arthur Penn, QUEEN & SLIM est une virée dans l’enfer du combat racial. Son romanesque et son romantisme laissent parfois songeur – il est même du plus mauvais effet quand des scènes d’émeutes sont montées en alternance avec une partie de jambes en l’air. Mais si Melina Matsoukas ne maîtrise que maladroitement son discours, sa façon de revendiquer le film comme du Black Arts total, en jouant avec les codes de l’Amérique blanche, en utilisant sans s’excuser les singularités afro-américaines et en s’inspirant directement des pionniers de l’art afro-américain fait de QUEEN & SLIM une œuvre exceptionnelle : on voit peu de geste artistique aussi absolu et de revendication d’une identité aussi exigeante.

De Melina Matsoukas. Avec Jodie Turner-Smith, Daniel Kaluuya, Bokeem Woodbine. États-Unis. 2h13. Sortie le 12 février

3Etoiles

 

 

 

 

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