LES SEPT DE CHICAGO : chronique

13-10-2020 - 15:38 - Par

LES SEPT DE CHICAGO : chronique

Engagé, d’une totale pertinence pour notre époque, nourri par ses évidentes envies de cinéma, LES SEPT DE CHICAGO propose tout ce que l’on aime voir sur un écran et tout ce que l’on a envie d’y voir actuellement, grand ou petit.

 

À la fin de l’été 1968, en pleine campagne présidentielle, des milliers de militants pour la paix manifestent aux abords de la convention démocrate de Chicago. Des émeutes éclatent. Quelques mois plus tard, huit hommes sont jugés, accusés d’avoir comploté pour engendrer les violences. L’administration Nixon, nouvellement élue, se veut intraitable avec les protestataires… Son résumé laisse croire que LES SEPT DE CHICAGO, évidemment tiré de faits réels, vise la reconstitution lénifiante et la leçon édifiante d’Histoire, le tout sur le ton sentencieux de l’académisme. Sauf que : LES SEPT DE CHICAGO n’est autre que la deuxième réalisation d’Aaron Sorkin, auteur qui, de ses séries À LA MAISON BLANCHE ou THE NEWSROOM à ses scripts pour THE SOCIAL NETWORK, STEVE JOBS ou DES HOMMES D’HONNEUR, a toujours su ménager classicisme et modernité, sentiment et acidité, par la grâce d’une écriture mouvante, jouant autant sur la richesse de ses idées que par l’outrance avec laquelle il peut (parfois) les exposer. LES SEPT DE CHICAGO respecte à la lettre cet esprit.

À l’heure où la désinformation et les théories du complot l’emportent sur l’information et la raison, où l’intérêt général et le vivre ensemble sont toujours plus foulés au pied, il est parfois nécessaire de hurler plus fort que la folie ambiante. Sorkin utilise donc toutes les armes pour transmettre ses messages sur le progrès, la paix sociale, les droits des individus et les devoirs des institutions. Qu’il débute par une longue séquence débordant d’ironie où l’Amérique telle qu’elle se fantasme et sa réalité sordide entrent en collision ou qu’il embrasse un triomphalisme sentimental dans ses dernières minutes, Aaron Sorkin n’est pas là pour s’engager du bout des lèvres mais pour rentrer dans le lard de l’Amérique d’aujourd’hui – celle de Trump, des suprématistes, des réfractaires au progrès, des contempteurs du droit à la contestation – mais aussi pour pleurer ses divisions débilitantes. Son écriture, pourtant, n’en demeure pas moins d’une authentique finesse. Les débats d’idées, captivants, sont légion (la révolution contre la révolution culturelle ; le militantisme choisi du bourgeois blanc ou nécessaire de l’homme noir etc.). Chaque discussion vient éclairer la dramaturgie et réciproquement, Sorkin prenant par exemple soin d’exposer avec autant de sérieux les idées révolutionnaires de l’excentrique Abbie Hoffman (superbe Sacha Baron Cohen) que celles, plus mesurées mais pas moins engagées, de Tom Hayden (Eddie Redmayne dans sa meilleure prestation, épurée de sa gaucherie habituelle). Il ne fait jamais aucun doute que LES SEPT DE CHICAGO commente l’Amérique contemporaine. Ainsi, toutes les scènes sur Bobby Seale, cofondateur des Black Panthers, résonnent d’autant plus violemment après l’été 2020 et l’énième électrochoc qu’a été la mort de George Floyd. Le tour de force des SEPT DE CHICAGO réside dans son humanité – les personnages sont tout – mais aussi dans son universalité. Ce terme peut paraître galvaudé. Il trouve pourtant ici tout son sens, notamment dans une longue séquence d’émeute, mise en musique sur un crescendo ahurissant concocté par Daniel Pemberton, qui parvient à renvoyer au spectacle atterrant de violences policières constatées dans certaines manifestations françaises récentes.

Comme à son habitude, Aaron Sorkin use du rire, de la malice et du rythme de ses mots pour emballer ce cinglant traité politique. Mais il trouve également un souffle de mise en scène, notamment à travers un travail très abouti de montage – la manière dont il relie les personnages dans ce qu’ils ont de similaire et de différent dans la première séquence ; l’usage des flashbacks durant le procès, récit alterné source de vivacité, de suspense et parfois, d’émotions. Il ne peut certes pas faire plus « sorkinien » – le bon usage d’un pronom est ici vital à l’histoire ! Mais il tire aussi clairement leçon des grands réalisateurs pour qui il a écrit – une longue séquence de dispute entre Eddie Redmayne et Mark Rylance renvoie, dans sa construction visuelle et sonore, à une scène de STEVE JOBS – et ne se contente donc pas des idées. Car il sait que pour mieux les porter, rien de tel qu’un cinéma alerte, vivant, qui sache être virtuose ou opératique si besoin, subtil et en retenue par ailleurs. La tête, le cœur et les tripes : tout est là, sur l’écran. Cette générosité et cette sincérité, précieuses, emportent tout.

D’Aaron Sorkin. Avec Sacha Baron Cohen, Eddie Redmayne, Yahya Abdul-Mateen II, Mark Rylance, Frank Langella, Joseph Gordon-Levitt, Jeremy Strong… États-Unis. 2h09

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