TÁR : chronique

26-01-2023 - 10:20 - Par

TÁR : chronique

Mal aimable et anachronique dans le meilleur sens des termes, une étude de personnage portée par une Cate Blanchett stratosphérique.

 

Peut-être n’est-ce qu’une coquetterie mais TÁR s’ouvre sur un ancien logo Universal : plutôt pertinent pour un film qui, bien qu’explorant des thématiques socio-culturelles absolument contemporaines, se révèle à contre-courant de l’époque dans son fond, sa forme et son intention. Lydia Tár (Cate Blanchett), « figure majeure de la musique », a tout ce que le succès assure : l’argent, l’admiration du public, la reconnaissance de ses pairs. Une cheffe d’orchestre brillante, érudite, disruptive dirait-on aujourd’hui. Mais cache-t-elle une face plus problématique ? Étude de caractère, TÁR ne repose tout d’abord sur aucune intrigue. Il observe sa protagoniste, sa place dans son milieu et sa famille, son point de vue sur son métier et sur le monde, et le fait brillamment, fort de belles idées de mise en scène – la photo, hivernale, use du contre-jour comme d’un voile de nuances de gris ; un plan-séquence de dix minutes qui, plus tard dans le récit, sera piraté et remonté ; on nous résume la carrière de Lydia en off, voix du modérateur d’une masterclass, alors que les images suivent l’artiste avant l’événement, cherchant le costume parfait. La présentation est formelle et maligne, elle propulse le spectateur dans un univers mystérieux au mieux, hermétique au pire. Le vocabulaire est expert, code référencé dont le plus grand nombre des spectateurs n’aura pas la clé. Un langage auquel on s’habitue pourtant, comme à une langue étrangère que l’on entendrait quotidiennement sans pouvoir pour autant la parler. L’effet est sidérant : TÁR n’utilise aucun moyen de séduction et préfère, avec succès, une entrée en matière lente – à l’image de ce générique qui, au lieu de conclure, ouvre le film. Un cérémonial en accord avec l’univers, mais aussi terreau de l’expérience du spectateur. TÁR filme Lydia dans une foule de situations au travail, à la maison, avec sa femme, avec sa fille, et en dévoile toutes les dimensions, fascinantes et ambiguës. TÁR convoque là le regard du spectateur, le laisse observer, analyser, se faire son idée, ultime pied de nez à un cinéma contemporain qui n’aime rien tant que tout expliquer, normer et catégoriser. Mais même là, TÁR ne joue pas la facilité car à l’écran, le réalisateur Todd Field ne filme rien de si répréhensible. Pourtant, Lydia gêne, quelque chose cloche. Une intrigue s’insinue, des indices s’accumulent, ce qui était non-dit se verbalise, là aussi avec patience, par une écriture fragmentaire particulièrement maîtrisée et immersive, très réaliste dans sa peinture d’un quotidien qui déraille. Des dents grinceront devant ce que Lydia dit de la cancel culture – elle dissèque la misogynie de Bach avec un élève qu’elle qualifie de « bien-pensant ». Encore cette rengaine de la séparation entre l’artiste et la personne ? Oui, mais non. Car dans cette séquence, deux impasses s’affrontent très visiblement. Plus globalement, TÁR ne donne pas de réponse préfabriquée. Il évolue dans une plus grande complexité et réclame conversation, recontextualisation et nuance – ce qui, en termes dramaturgiques, maximise la cruauté de la fin du récit. Un exercice périlleux que Todd Field tient fermement, exigeant mais confiant en l’intelligence du spectateur. Il est en cela bien aidé par Cate Blanchett : ce qu’elle accomplit ici est exceptionnel de puissance et de subtilité(s), entre démiurge, ogresse et animal blessé. Ce qui rend cette étude des rapports de pouvoir – ce qu’on accepte ou pas, comment on s’en rend complice, les responsabilités individuelles et collectives face à l’Histoire, etc. – particulièrement mal aimable. Mais comment l’examen de tels sujets ne pourrait-il pas l’être ?

De Todd Field. Avec Cate Blanchett, Noémie Merlant, Nina Hoss, Mark Strong. États-Unis. 2h38. En salles le 25 janvier

Note : 4/5

 

 

 

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