Moins film sur l’Irak que portrait d’un soldat lentement détruit par le conflit, AMERICAN SNIPER peine à pleinement traiter son sujet.
Des bruits sourds de blindés. Gros plan: une chenille de char écrase un bloc de béton. Les premières secondes d’AMERICAN SNIPER laissent peu de doute: le film entend observer la pesante mécanique de la guerre, la façon dont elle broie ceux qui la font. Parmi eux, Chris Kyle, Navy SEAL proclamé sniper le plus capé de l’armée américaine –160 morts confirmées. Entièrement construit par le terrorisme –les attaques sur les ambassades US en Tanzanie et au Kenya puis celles du 11-Septembre – le soldat Kyle est un pantin qui s’ignore, poussé vers la guerre par les événements. Le fruit de son époque. Pourtant, AMERICAN SNIPER vise l’intemporalité, refuse d’être un film sur l’Irak et ne déploie aucun point de vue sur ce conflit. Clint Eastwood brosse avant tout le portrait d’une machine à tuer que la guerre va déboulonner, dans une étude de personnage parfois passionnante – car ambiguë –, mais qui trébuche aussi dans les grandes largeurs. La narration se fait souvent lourdaude, une scène venant maladroitement donner le contrepoint de la précédente, des répliques didactiques expliquant les enjeux. Le regard tantôt patriotico-romanesque, tantôt belliciste de Kyle ne trouve que de molles réponses – son épouse raille son « ego » de protecteur du monde, un de ses collègues assure que le Mal n’est pas l’apanage de l’ennemi. En revanche, AMERICAN SNIPER se fait plus incisif dans son portrait de l’ignorance des troupes américaines engagées en réaction au 11-Septembre, de leur insupportable tendance à traiter les Irakiens de « sauvages ». Pour toute sentence, Eastwood dégaine une idée intéressante à défaut d’être pleinement exploitée : en opposant à Kyle un doppelgänger parfait, le sniper Mustafa, il arase toutes les différences et tente de mettre chaque camp dos à dos. Mais le plus notable reste la manière dont le récit détruit Kyle et le montre se fissurer scène après scène. Celles le dépeignant en permission chez lui, impatient de retrouver le front, sont à ce titre intrigantes et auraient pu renvoyer à DÉMINEURS si le scénario avait osé avoir l’âpreté acerbe du film de Kathryn Bigelow. Malheu- reusement, AMERICAN SNIPER ne traite pas son sujet jusqu’au bout. Dans son dernier acte, il expédie même ce qui aurait dû être l’acmé du film et du destin de Kyle : le stress post-traumatique, les difficultés du soldat à redevenir un simple civil. La tragédie finale se voit cantonnée à un carton de texte suivi d’images d’archives – les plaies des films inspirés de faits réels. Une résurgence du réel qui émousse tout point de vue cinématographique et mène AMERICAN SNIPER vers un hommage très contestable.
De Clint Eastwood. Avec Bradley Cooper, Sienna Miller, Luke Grimes. États-Unis. 2h12. Sortie le 18 février
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