Face à des monstres aux mille visages, une femme et ses enfants se perdent dans les bas-fonds de Detroit. Le premier film sublime de Ryan Gosling auteur / réalisateur.
Présentée au dernier Festival de Cannes dans la section Un Certain Regard et attendue au tournant par une presse sur les dents, la première réalisation de Ryan Gosling (connu aussi comme « l’acteur fétiche de Nicolas Winding Refn ») est un choc esthétique. On ne s’attendait pas à un tel objet, étrange et surtout totalement suicidaire. À se demander si, avec ce récit exsangue et parfaitement hypnotique et cette mise en scène sublimement superfétatoire, Ryan Gosling n’avait pas des envies d’hara-kiri cinématographique. Construit comme une balade morbide et désespérée dans un Detroit irréel et fantomatique sur fond-prétexte de crise économique, LOST RIVER plonge tête baissée dans le formalisme le plus fou et artificiel, au risque du ridicule. Mais justement, c’est parce qu’il ose tout que LOST RIVER est un film précieux. À chaque plan, chaque virage formel absolument sidérant, Ryan Gosling joue avec le feu. Dans un équilibre précaire et forcément un peu naïf, il entremêle les visions horrifiques de l’enfance avec la poésie des marginaux. D’abord, on craint que le réalisateur ne nous donne qu’une version chic et policée de l’Amérique des bas-fonds. Mais ici, le désert urbain de Detroit n’a rien à voir avec notre monde. C’est une ville morte, un cimetière labyrinthique dans lequel s’égarent une mère courage (Christina Hendricks), un jeune romantique (Iain De Caestecker) et une jeune fille en fleur (Saoirse Ronan) – le cœur narratif du film n’est qu’errance. Trois stéréotypes malaxés et reformulés par Gosling dans un magma d’images et de sons, passé au tamis de tout un tas de styles cinématographiques ultra référencés. LOST RIVER mixe ainsi l’âpreté étrange d’Harmony Korine, la sophistication weird de David Lynch et l’angoisse formaliste d’Argento. Des immeubles délabrés, des figures défoncées, du glamour macabre, des ombres colorées menaçantes, des anamorphoses, du feu, beaucoup de feu, et un appareillage symbolique bien connu pullulent dans tous les recoins de LOST RIVER. Mais porté par le génie du chef opérateur Benoît Debie (IRRÉVERSIBLE, SPRING BREAKERS), Gosling réussit à créer un véritable monstre filmique, rejeton stupéfiant de toutes ces influences mêlées. Une perfection plastique mais un récit d’abord trop primitif et trop nébuleux pour emporter l’adhésion immédiate du spectateur. Gosling ne parvient pas à trancher entre le conte de fées déglingué et le cauchemar adouci, et la demi-teinte du fond jure un peu avec le jusqu’au-boutisme de la forme. Il n’empêche que petit à petit, on se laisse happer par ce film incontrôlable et peut- être incontrôlé. Il y a de véritables visions de cinéma dans ce premier long-métrage bordélique, qui chasse les monstres à grands coups de cauchemar.
De Ryan Gosling. Avec Christina Hendricks, Saoirse Ronan, Matt Smith. France / États-Unis. 1h45. Sortie le 8 avril
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