Cannes 2015 : VICE-VERSA / Critique

18-05-2015 - 12:40 - Par

De Pete Docter. Sélection officielle, hors compétition.

Pitch : Au Quartier Cérébral, le centre de contrôle situé dans la tête de la petite Riley, 11 ans, cinq Émotions sont au travail. À leur tête, Joie, débordante d’optimisme et de bonne humeur, veille à ce que Riley soit heureuse. Peur se charge de la sécurité,  Colère s’assure que la justice règne, et Dégoût empêche Riley de se faire empoisonner la vie – au sens propre comme au figuré. Quant à Tristesse, elle n’est pas très sûre de son rôle. Les autres non plus, d’ailleurs… Lorsque la famille de Riley emménage dans une grande ville, avec tout ce que cela peut avoir d’effrayant, les Émotions ont fort à faire pour guider la jeune fille durant cette difficile transition. Mais quand Joie et Tristesse se perdent accidentellement dans les recoins les plus éloignés de l’esprit de Riley, emportant avec elles certains souvenirs essentiels, Peur, Colère et Dégoût sont bien obligés de prendre le relais. Joie et Tristesse vont devoir s’aventurer dans des endroits très inhabituels comme la Mémoire à long terme, le Pays de l’Imagination, la Pensée Abstraite, ou la Production des Rêves, pour tenter de retrouver le chemin du Quartier Cérébral afin que Riley puisse passer ce cap et avancer dans la vie…

Par le passé, Pixar n’a jamais eu peur des défis – donner vie aux jouets, débuter un film par une demi-heure muette etc. Et parmi ses réalisateurs, Pete Docter est peut-être le plus téméraire de tous, le plus enclin à proposer des expériences de cinéma déstabilisantes car vouées à confronter le spectateur à des émotions dévastatrices. Après avoir réinventé le duel entre l’enfant et la bestiole du placard dans MONSTRES ET CIE, puis après avoir fait un héros d’un p’tit vieux acariâtre qui reprenait goût à la vie au contact d’un jeune scout dans LÀ-HAUT, Docter continue d’explorer l’enfance dans ce qu’elle a de plus cruel et déchirant, de plus libre et exaltant. Dans VICE-VERSA, il entre dans la tête d’une petite fille, Riley, 11 ans, dont le déménagement loin de son Minnesota natal va bouleverser le quotidien et les sentiments. Dans son cerveau, ses émotions – Joie, Tristesse, Dégoût, Colère et Peur – tentent de la guider dans cette épreuve. Mais quand Tristesse semble contaminer tous les souvenirs, elle est entraînée contre son gré dans une folle aventure avec Joie dans les tréfonds de l’esprit de Riley. Compliqué, VICE-VERSA ? À résumer et expliciter, sans aucun doute. Mais sur l’écran, l’exposition du concept s’avère déconcertante de fluidité, toutes les pièces nécessaires à la narration du film se mettent en place dans un élan communicatif et un dynamisme de chaque seconde. Car on retrouve ici ce qui a fait pendant longtemps le fort de Pixar : les idées. VICE-VERSA en regorge, qu’elles soient narratives, visuelles ou émotionnelles. Certaines, comme celles animant la scène du Hangar des Pensées Abstraites – une des plus folles du film –, surmontent même leur complexité conceptuelle par le simple fait d’être écrites, mises en scène et jouées sans retenue : VICE-VERSA est riche de sa folie créatrice. Riche de sa liberté, aussi, qui flirte avec le psychédélisme, l’étrange et le grotesque – voire le cauchemardesque. Son brillant concept n’est même rien comparé à la densité de son propos et au foisonnement des sentiments qu’il aborde. Peut-on frontalement parler de suicide, de fugue et de mort dans un film que des millions d’enfants verront ? Peut-on vraiment suggérer que les gamins traversent leurs jeunes années en dansant perpétuellement sur une ligne dépressive ? Oui, clame Pete Docter, qui avance tête baissée, ose créer la comédie avec la Tristesse, confronter le public adulte à ses douloureuses madeleines, à ses souvenirs enfouis, bâtir des scènes comme autant de crève-cœur bouleversants suscitant de véritables torrents de larmes. VICE-VERSA invite le spectateur à un mélodrame intérieur et extérieur, subjectif et objectif, se jouant tout autant dans une tête que dans le salon feutré d’une famille en crise. En montrant les Hommes comme des créatures littéralement gouvernées par leurs émotions, Pete Docter fait plus que réunir intellect et sentiment. Ils les assimilent l’un à l’autre. Pas la moindre des grandes idées du film, d’ailleurs. Cette manière qu’il a de faire se tutoyer cortex et palpitant, noirceur et splendeur, concret et abstrait, souvent dans le même plan, par la grâce d’une réalisation aérienne, d’un character design malin et d’une musique splendide, relève purement et simplement du génie. Ou, tout du moins, du cinéaste en état de grâce. Au bout du compte, en faisant de l’enfance le décor du temps qui efface tout, Pete Docter signe une superbe et courageuse observation du travail de deuil. Ce qui ne fait pas de VICE-VERSA un grand Pixar ou un grand film animé. Mais un grand film tout court.

De Pete Docter. Avec les voix originelles de Bill Hader, Amy Poehler, Mindy Kaling. États-Unis. 1h42. Sortie le 17 juin

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