SICARIO : chronique

07-10-2015 - 11:05 - Par

SICARIO : chronique

Toujours armé de la précision de sa mise en scène, Denis Villeneuve signe un thriller politique étouffant dont émerge une héroïne captivante.

Sicario-PosterAprès le troublant, alambiqué et très retors ENEMY, le Québécois Denis Villeneuve livre avec SICARIO son long-métrage le plus mainstream et le plus linéaire. Une velléité populaire qui ne l’empêche pas le moins du monde de se pencher avec brio sur son sujet –les cartels mexicains et la guerre menée par les États-Unis contre le trafic de drogue. Tout d’abord parce qu’il met en scène une agent du FBI, merveilleusement campée par Emily Blunt, et revient ainsi aux figures féminines qui faisaient sa filmographie avant PRISONERS. Une femme qui subit le sexisme, les questions déplacées qu’on ne poserait pas aux hommes et la pression de diriger (ou de collaborer avec) des hommes qui font lourdement cas de son physique avantageux. Villeneuve ne la transforme pas en néo-Rambo, ne nie pas sa féminité. Kate n’est pas un ersatz de Ripley ou de Sarah Connor. Spécialisée dans les enlèvements et désormais associée à une mission visant à faire tomber un baron mexicain de la drogue, elle affiche autant sa vulnérabilité que sa force, brandit son idéalisme et son professionnalisme, reçoit des coups et sait en donner. La Kate d’Emily Blunt est, à bien des égards, une héroïne captivante, moderne et protéiforme, dans un thriller hollywoodien critiquant davantage le machisme qu’il ne se prétend féministe. Au-delà de cette dimension passionnante et profondément liée au cœur de la filmo de Villeneuve, SICARIO se révèle aussi une peinture vivace, brute et étouffante de la guerre contre la drogue. Remarquablement servi par la photo de Roger Deakins (déjà chef op’ de PRISONERS), Villeneuve construit une mise en scène minutieuse, pour une tension de tous les instants. Après une introduction dantesque, socle narratif, esthétique et atmosphérique du film, il étire ses séquences à l’extrême, use d’un sound design et d’un score redoutables (des nappes de sons où se côtoient hurlements sourds et pistons destructeurs), sur- dramatise le danger et mène le spectateur au cœur de l’action. En prenant son temps, Villeneuve bâtit une atmosphère si pesante qu’elle finit par créer du spectaculaire – ou une attente de spectaculaire– là où il n’y en a pas. Et où il n’y en aura jamais. Car derrière le thriller policier réside surtout une charge politique et sociale. Ici, cartels et autorités sont renvoyés dos à dos dans un propos d’un nihilisme patenté, qui n’est pas sans rappeler celui de NO COUNTRY FOR OLD MEN. En signant son premier « spectacle de masse », Villeneuve a certes perdu en étrangeté, mais sa capacité à conter des histoires opératiques avec une extrême précision n’a fait que s’affûter.

De Denis Villeneuve. Avec Emily Blunt, Benicio Del Toro, Josh Brolin. États-Unis. 2h01. Sortie le 7 octobre

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