Avec une grande sensibilité et quelques maladresses, MAN ON HIGH HEELS déconstruit l’éventuel machisme des polars sud-coréens.
Avec les réalisateurs Park Chan-wook, Bong Joon-ho ou Na Hong-jin, les polars commerciaux sud-coréens qui arrivent sur nos écrans sont portés par des héros masculins et une certaine idée de la virilité, s’exprimant bien souvent dans l’ultraviolence. MAN ON HIGH HEELS prend le parti de se servir de cette violence pour figurer un malaise identitaire, l’envie de se faire mal. Si Yoon Ji-wook (le magnifique Cha Seung-won) est un flic dangereux, capable de se frotter sans peur à des hordes de mafieux surarmés, c’est qu’il exprime avec ses poings le rejet de l’homme qu’il est. Cet homme, grand, beau, athlétique, que tout le monde admire, dont les garçons et les filles tombent follement amoureux. Yoon Ji-wook veut être une femme. Il s’apprête même à quitter la police pour enfin se faire opérer et vivre comme il a toujours eu besoin de vivre. Mais pour le moment, il est prisonnier de sa légende et doit se coltiner une sombre affaire de rivalité fraternelle sur fond de bons du trésor russes et d’assassinat d’un procureur. D’abord, MAN ON HIGH HEELS traite presque distinctement la quête intime de Yoon et son enquête, puis finit par les mêler pour sceller le sort de notre inspecteur. Car l’atout du film de Jang Jin, c’est bien son héros, pudique, voué à être le jouet de toutes les provocations et de toutes les convoitises parce qu’il est, pour tous, un surhomme. Lui se bat pour correspondre à l’image qu’on lui donne mais aussi pour faire diversion : tant que, d’un côté, il reste le héros de film d’action au carré, baston à une main sous la pluie de rigueur, il peut, de l’autre côté, être le héros de son propre mélodrame, magnifique, hanté d’un amour de jeunesse tragique. Jang Jin n’est pas le plus réputé des réalisateurs sud-coréens en Occident : il déroule un cinéma très caractéristique et refuse de sacrifier les codes locaux sur l’autel de l’exploitation à l’étranger. Ainsi, la musique de MAN ON HIGH HEELS est souvent sirupeuse ou sautillante, loin de ce qu’on attend d’un polar mainstream, et pourrait presque nuire à l’universalité de l’histoire – il n’en est rien. Le film n’est pas non plus exempt de maladresses quand il caractérise les personnages transgenres, mais il est une telle lettre d’amour à la liberté d’être qu’il n’y a aucun quiproquo sur ses belles intentions. Avec élégance et sensibilité, Jang Jin court-circuite le genre le plus commercial de Corée du Sud pour l’emmener vers des thématiques de cinéma indépendant. Il plonge l’histoire de Yoon dans une infinie tristesse et interroge une société normative : avoir le courage d’être soi-même, est-ce aussi prendre le risque d’être seul ?
De Jang Jin. Avec Cha Seung-won, Esom, Oh Jung-se. Corée du Sud. 2h05. Sortie le 20 juillet
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