STAR TREK SANS LIMITES : Entretien avec Justin Lin

20-08-2016 - 10:49 - Par

STAR TREK SANS LIMITES : Entretien avec Justin Lin

Le réalisateur du troisième (ou treizième, selon votre préférence) STAR TREK décortique pour Cinemateaser comment l’on reprend une franchise à son compte.

Cet entretien a été publié au préalable dans Cinemateaser n°56 daté été 2016

Celui qui a ressuscité STAR TREK des limbes de la pop culture s’en est allé chez l’ennemi, STAR WARS. J.J. Abrams a appelé pour le remplacer Justin Lin, quatre FAST & FURIOUS au compteur. Un réalisateur intrigant, qui semble avoir tout compris de la sérialisation de la narration. Également producteur de SCORPION pour CBS et aux commandes de deux épisodes de la seconde saison de TRUE DETECTIVE, il attrape des franchises au vol, s’en empare et les fait vivre et prospérer. Entretien.

 

Beyond-Pic1C’est le troisième volet de la franchise reboot de STAR TREK mais le premier qui ne soit pas réalisé par J.J Abrams. À quoi doit-on s’attendre ?
La première fois que J.J. m’a proposé de faire la suite, je me suis dit que c’était un projet trop risqué pour moi. Et c’est peut-être, justement, ce qui m’a convaincu de le faire. J.J. a une façon très singulière d’écrire et de concevoir ses films. Je me suis dit qu’il avait apporté suffisamment de structure à l’univers pour que je puisse m’amuser à le déconstruire visuellement. Mais plus je travaillais dessus, plus je me suis rendu compte qu’on ne pouvait aller contre STAR TREK. L’univers, les personnages créés, sont plus forts que les réalisateurs, je crois. Ça fait 50 ans que ça dure. Soudain, je me suis rendu compte que tout ce que j’essayais d’apporter de différent venait en fait déjà de la série ou des films. Tous les réalisateurs de ma génération ont grandi, comme moi, avec cette saga. Ce goût pour l’aventure, pour l’inconnu, les conflits que ça peut créer, tout ça vient de STAR TREK chez moi. Et tout est devenu plus clair : ce film devait être avant tout un film d’aventures. Je devais retrouver ce qui, enfant, me grisait devant mon écran. Avec Simon Pegg (coscénariste, ndlr), on a essayé le plus possible d’être attentif à ça.

Simon Pegg est une égérie de la pop culture moderne, grâce à ses films très référencés. En quoi son humour est-il soluble dans STAR TREK ?
Simon est hilarant mais c’est aussi et surtout un grand professionnel. Sa vision de STAR TREK est très intime mais aussi très divertissante. Il n’y a, je crois, que lui aujourd’hui pour être capable de raconter cette histoire avec autant de degrés de lecture. L’humour est là bien sûr, les références aussi, mais il est allé chercher des choses plus ambitieuses. Simon aime cette saga et a su lui faire honneur.

Lin-Exergue1Vous êtes un ‘Trekkie’ ?
Je ne sais pas exactement ce qui se cache derrière ce mot. Il y a parfois un petit côté péjoratif qui me dérange. Je ne connais pas tout de STAR TREK, non. Je peux vous assurer qu’il y a des hordes de gens qui s’y connaissent bien mieux que moi. Mais plus qu’un vrai fan, j’ai l’impression surtout d’avoir grandi avec STAR TREK. Cet univers incroyable était là, dans mon salon, dans ma télévision. Ça en devenait quelque chose de très familier. J’ai le souvenir aussi de mes parents qui regardaient la série. Je crois qu’aux États-Unis, même si vous n’êtes pas fan, vous la connaissez. Cette saga s’est inscrite dans le quotidien des gens. Je vais vous raconter une anecdote : avec Simon, nous étions en train de travailler sur le scénario, sur une longue scène de dialogue dont nous étions plutôt très contents. C’était une scène où Kirk s’adresse à son équipage. L’écriture de Simon était vraiment très juste, très cinématographique. Mais quelque chose me dérangeait. En fouillant dans les épisodes, je me suis rendu compte qu’en fait, ce type de scène était déjà dans la série. Inconsciemment, on était revenu avec Simon dans les traces de la série. C’est ça, la force de STAR TREK : vous ne pouvez pas passer à côté.

Comment STAR TREK peut-il exister dans un monde où il y a un nouveau STAR WARS tous les ans ?

Le monde est assez grand pour les deux. Quand je parle à mon fils de 6 ans qui adore STAR WARS, il me dit que ça se passait y’a longtemps. Pour lui, STAR TREK, c’est dans le futur. Donc dans sa tête, ça coexiste tout naturellement. Faites confiance aux enfants pour régler des problèmes comme ça ! Surtout, je crois que STAR TREK, contrairement à STAR WARS, est beaucoup plus proche de notre époque. C’est une des rares franchises à avoir tout de suite su exister autant à la télé, qu’au cinéma, ou en livres. Bien sûr que STAR WARS fait ça. Mais de manière plus artificielle, je trouve. Pour tout le monde, STAR TREK, c’est une série et des films. Je crois que ça montre que l’univers de cette saga est plus quotidien, plus proche des gens peut-être. Ce côté télé a permis à STAR TREK d’être plus posé aussi. À la télé, il pouvait y avoir de longues séquences de dialogue, ça ne gênait personne, bien au contraire. Je crois que le public s’est habitué à cette façon de faire du film d’aventures dans l’espace avec des personnages ‘réalistes’. Je crois que STAR WARS fonctionne à un degré plus mythologique. STAR TREK est plus immédiatement politique et connecté à notre monde.

Beyond-Pic2Cet aspect très culte de STAR TREK a permis à Abrams de jouer sur la fibre nostalgique des spectateurs. Son travail en tant que cinéaste, de SUPER 8 à STAR WARS, consiste souvent à créer un mélange entre l’ancien et le nouveau. Vous vous sentez proche de cette démarche ?
Je crois que les ambitions de J.J. sont très en phase avec notre époque. Regarder en arrière pour aller vers l’avant, c’est le propre de l’industrie cinématographique. C’est bien que ce type de mouvement soit pris en charge par des gens sincères et vraiment respectueux comme J.J. Plus qu’une façon de capitaliser sur des succès, je crois que son cinéma fonctionne vraiment sur le principe de transmission. Que ce soit STAR TREK ou STAR WARS, j’ai l’impression qu’il a vraiment donné une porte d’accès facile à la jeune génération à un type de cinéma qui vise le grandiose, le divertissement mais aussi des questionnements plus politiques. Ce sont des films avec des univers construits, très complexes et J.J donne la clé pour y entrer. Aujourd’hui, si vous arrivez avec un film très différent, très original, les gens ne vous suivent plus. J.J. a trouvé un moyen de faire venir les gens et de leur proposer, à l’intérieur de ce qu’ils reconnaissent, des choses nouvelles. Mais surtout, il le fait avec une vraie sincérité. C’est quelque chose que j’ai vraiment appris sur les plateaux : si tu ne fais pas les films en étant sincère, vraiment impliqué, ça ne peut pas marcher.

Comment avez-vous réussi à trouver votre place dans cette saga ?

Le premier truc que J.J m’a dit quand on s’est rencontré et qu’il m’a proposé le projet, c’est ‘Fais-en ce que tu veux. Ce sera ton STAR TREK !’. C’était vraiment une position confortable. Tout le travail le plus compliqué était déjà fait. L’équipe était déjà constituée avec que des gens de talent. Je n’avais plus qu’à me mettre aux commandes. Surtout, J.J. avait fait le travail pour les fans. Il a réussi à créer une nouvelle saga, tout en l’incorporant à l’ancienne. Je pouvais alors m’amuser avec ces personnages. Les confronter
à des choix nouveaux, des obstacles différents. Prendre en douceur un virage pour prolonger l’histoire.

Vous parlez de ‘virage’ mais c’est justement ce que vous avez déjà fait avec la saga FAST & FURIOUS. Après FF3, vous avez sur FF4 renouvelé la dynamique et avez amené la franchise bien plus loin en termes de narration et de mise en scène. C’est pour cela qu’on vous a proposé de prendre la suite de STAR TREK ?
Tout ce que je sais, c’est que je n’avais vraiment pas prévu de rempiler pour une nouvelle saga. Quand j’ai eu le coup de fil de J.J., je m’apprêtais à tourner mon propre film. On m’a laissé trois jours pour me décider. Ce qui m’a convaincu d’accepter, ce n’est pas tant que ce soit J.J. qui me le propose que STAR TREK en lui-même. Ça a ému le petit garçon que j’étais. Je crois que c’est ça aussi qui a plu à J.J. On avait ça en commun.

Lin-Exergue2La saga FAST & FURIOUS continue sans vous. Qu’est-ce que ça fait de voir quelqu’un prendre votre place aux commandes, comme vous le faites pour J.J. Abrams avec STAR TREK ?
C’est compliqué avec FAST parce que je suis arrivé moi aussi en cours de route. J’ai amené de nouveaux personnages et c’est ainsi que la transition s’est faite. Petit à petit, on s’est apprivoisés, on a appris à travailler ensemble. On est devenu une vraie équipe. Quand j’ai décidé de passer la main, ça m’a fait bizarre. J’en avais besoin, pour ma carrière. Je sentais que j’avais fait le tour mais ça n’a pourtant pas été simple humainement de leur dire au revoir. J’ai été très honnête avec l’équipe : je n’avais plus vraiment de raison de faire ces films. Alors évidemment, quand on laisse sa place, c’est un peu dur de voir quelqu’un prendre votre fauteuil. C’est excitant et douloureux. C’est comme une relation amoureuse. Parfois, tu dois quitter la personne pour aller de l’avant. C’est triste et nécessaire. Quand tu la vois heureuse avec quelqu’un d’autre, ça te fait du mal mais tu es content pour elle. Il faut juste apprendre à chérir ça comme un beau moment de ta vie.

Êtes-vous parfois frustré de ne pas être celui qui lance les sagas ?

Je suis vraiment au tout début de ma carrière. Les choses bougent en ce moment, je lance mes propres projets. Mais tout ce travail sur ces sagas m’apporte beaucoup. On comprend mieux les choses quand on les voit de l’intérieur de l’industrie. Je suis parti de FAST & FURIOUS parce que j’en avais marre de faire des suites. Je n’ai accepté STAR TREK que parce que j’avais l’impression de pouvoir faire quelque chose de personnel avec cet univers. Lorsque j’ai réalisé des épisodes de TRUE DETECTIVE, c’était vraiment différent. Je n’ai pas eu l’impression de faire une saison 2. Un peu comme ici avec STAR TREK, je n’ai pas l’impression de faire un épisode 3 mais bien un film à part entière. J’ignore encore où je vais aller après ce film, mais je sais que ce sera forcément différent de tout ce que j’ai pu faire. C’est comme ça que j’ai envie d’avancer. C’est un luxe d’avoir aujourd’hui la possibilité des faire des films comme FAST ou STAR TREK et de mettre en production des projets qui vous sont très personnels. Je veux pouvoir garder le choix.

Beyond-Pic3Cette capacité que vous avez à vous couler dans des univers déjà construits doit être très recherchée aujourd’hui par les studios. Les films sont de plus en plus des dérivés d’autres choses. Marvel, DC, les saga Young Adult… On a l’impression qu’aujourd’hui, les réalisateurs doivent s’accorder entre eux pour créer un film ‘unique’, constitué de plein de films épars…
Oui, c’est vrai. Mais je crois que ça vient autant du public que de l’industrie. Les gens ont du mal à aller vers l’inconnu. Quand ils aiment quelque chose, ils veulent que ça continue. C’est humain. J’ai fait suffisamment de suites pour savoir que ça n’est pas non plus un système automatique. Une suite, ça se mérite. Quand le public la réclame, vous devez être à la hauteur. De plus en plus, j’ai l’impression que le cinéma et la télévision se confondent. Tant que le public est là, ça continue. C’est à vous, alors, de faire votre job et de faire en sorte de le garder, ce public. Ça paraît simple, un peu comme si on appliquait des recettes de cuisine. Mais c’est une formule très aléatoire. Si ça marchait à tous les coups, ça se saurait.

Vous travaillez autant au cinéma que pour des séries télévisées. C’est un plus, non, aujourd’hui, pour un réalisateur de cinéma, de connaître les rouages de création d’une série ?
C’est un luxe et un confort indéniables, surtout. Travailler pour la télé, ça permet d’être dans une énergie très différente de celle du cinéma. La série télévisée vous oblige à être plus réactif, plus dynamique. Vous n’avez pas le loisir de réfléchir et de prendre votre temps comme sur les tournages des gros budgets. Ce qui fait d’ailleurs que, lorsque vous arrivez sur ces tournages-là, vous êtes beaucoup plus réactif. Je trouve que c’est une dynamique à conserver. L’alternance, c’est le bon rythme. Si on ne fait que du cinéma à gros budget, je pense qu’on finit par se noyer. On perd l’urgence. Si on ne fait que de la télévision, on devient trop ‘efficace’. C’est épuisant.

 

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