SNOWDEN : chronique

31-10-2016 - 14:48 - Par

SNOWDEN : chronique

Oliver Stone sans nuance, plein de mauvais goût et donneur de leçons pour un film où convergent de vrais partis pris de mise en scène, de bons acteurs et une histoire d’héroïsme.

snowden-posterOliver Stone se paie pour la première fois les services d’Anthony Dod Mantle, chef opérateur spécialiste d’une image fruste, qu’il a mise à l’épreuve de tous les styles (ceux de Danny Boyle à Ron Howard en passant par Lars von Trier). C’est un mariage évident. Le look de Stone à base de surimpression, de décadrages et de gros plans angoissés, trouve en Dod Mantle un soutien de poids, quelqu’un qui saura effacer la distance, provoquer le spectateur pour mieux l’engager. L’esthétique agressive de la paranoïa, de l’aliénation, toute au grain grossier et à la lumière pas belle, Stone l’a forgée dans les années 80 et 90 et elle n’a jamais changé. Désormais, elle paraît un peu ringue. Pourtant SNOWDEN est d’aujourd’hui. C’est le film absolu de l’Amérique post- 11/9. Et non seulement, il est le parfait reflet de l’agacement politique de son réalisateur, mais son allure unique enfonce le clou : SNOWDEN est un pur film d’Oliver Stone, pour le meilleur et pour le pire. Le metteur en scène s’est emparé de son sujet et ne le lâche jamais. Il fait le portrait d’Edward Snowden de partis pris en partis pris et le plus fort d’entre eux n’est autre que le postulat du film : Snowden est un héros américain. Si l’on accepte que Stone nous raconte cette histoire-là, alors SNOWDEN est l’un des meilleurs films que vous verrez cette année. Entier, sincère, virulent. Ni démocrate ni républicain. Il met ses mots dans la bouche de Snowden et quand le lanceur d’alerte témoigne clandestinement au micro des journalistes du Guardian et à la caméra de Laura Poitras, c’est le réalisateur qui prend le public au col : l’Amérique a bafoué vos droits et sous le prétexte de la guerre contre le terrorisme, elle a fait de votre webcam et de votre téléphone portable des mouchards. Elle vole et exploite des informations pour assurer la sécurité de son peuple, mais surtout pour devenir économiquement, socialement et politiquement la nation dominante. Cette effarante vérité est d’abord un mensonge qu’Edward Snowden, fervent patriote, a contribué à créer. À une époque où la guerre est profondément abstraite, codée, numérique, désincarnée, Snowden, grosse tête du cryptage, est le meilleur soldat que l’Amérique ait pu former. Le discours de Stone manque de finesse, les dialogues sont déclaratifs et didactiques, la musique est au violon. Mais il traite le questionnement moral de Snowden avec une complexité et une acuité incroyables. Il est brillant, ambitieux, il est le bon élève de la CIA, puis il comprend que la guerre est une bête qu’il faut nourrir et que l’Amérique dévore tout. Et parmi toutes ces têtes qui contribuent à faire de l’Intelligence américaine la meilleure et la plus discutable de toutes et parmi tous ces jeunes « soldats » qui ne sont pas dupes (voir les prestations brèves mais parfaites de Keith Stanfield, Logan Marshall-Green et Ben Schnetzer), il est celui qui sacrifiera sa vie pour la vérité. Qu’il soit présenté comme un héros n’empêche pas que son parcours soit celui d’un traître. Joseph Gordon-Levitt aurait pu se contenter de jouer ce héros ou d’imiter Snowden et le ton grave et concerné rendu célèbre par ses illustres interventions citoyennes. Mais l’acteur fait mieux : il incarne la conscience de l’Amérique et un peu de chacun d’entre nous. Mémorable.

D’Oliver Stone. Avec Joseph Gordon-Levitt, Shailene Woodley, Rhys Ifans. États-Unis/Allemagne/France. 2h14. Sortie le 1er novembre

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