L’amour, la trahison, la manipulation, la violence, les déviances : MADEMOISELLE convoque tout Park Chan-wook en un seul film ivre de cinéma. Si majestueux, si précis, si beau qu’il en deviendrait presque intimidant.
MADEMOISELLE démarre au son discret d’un petit triangle et finit sur les résonances de l’entrechoc de boules de geisha. Entre les deux, un récit
qui démarre comme un petit film d’arnaque et évolue avec grâce en passion amoureuse lesbienne. Mais le tout, façon Park Chan-wook. Le réalisateur sud-coréen, connu notamment pour sa lapidaire trilogie de la vengeance (SYMPATHY FOR MR VENGEANCE, OLD BOY, LADY VENGEANCE), adapte ici le roman britannique « Du bout des doigts » de Sarah Waters, dans lequel un faussaire fomente l’internement et la spoliation d’une riche héritière avec l’aide d’une pickpocket embauchée comme servante de l’aristocrate. Si MADEMOISELLE emprunte bel et bien ce postulat de départ, il prend ensuite toutes les libertés qui s’imposent pour être « un pur Park Chan-wook ». C’est-à-dire un jeu de mensonges, de manipulations et de perversités mis en scène avec une précision presque pathologique. Et puisqu’il s’agit aussi d’un scénario à tiroirs et à révélations, dès qu’il faut rétablir la vérité, ou revenir en arrière, l’intelligence du jeu de points de vue crève alors littéralement l’écran. Décidément, Park Chan-wook est un storyteller démoniaque. Si dans la même veine du « thriller bourgeois », STOKER était un récit subtilement raide, voire frigide, MADEMOISELLE chauffe à blanc le cinéma de Park Chan-wook. Avec le temps, sa violence physique et graphique s’est pleinement transformée en un sublime élan romanesque (le même qui faisait du dernier tiers d’OLD BOY un parangon de tragédie). L’énergie du désespoir s’était mise au service de la vengeance ; elle est aujourd’hui au service de la passion. MADEMOISELLE est avant tout un film d’amour brutal, viscéral, et les scènes de sexe en sont le cœur poétique. Le regard du metteur en scène ne se détourne jamais de l’acte charnel, l’érotisme est filmé avec délicatesse et adoration. De cet amour vrai et total que deux femmes ressentent l’une pour l’autre dans une société encore très phallocrate, naît la grande et surprenante vindicte du film contre les dérives de la pornographie. Avec son goût pour le grotesque et le grimaçant et son acuité pour filmer la médiocrité, Park Chan-wook décrit des hommes comme des êtres à la virilité malade, jouets du sexe compulsif et tortionnaire. À bien des titres, MADEMOISELLE est un film féministe, plus encore que ne l’était LADY VENGEANCE, car apaisé. Mais c’est surtout un film monument, si complexe qu’une fois que les boules de geisha résonnent sur fond noir, il faudrait tout de suite le revoir pour cerner tous les recoins et les replis de sa formidable complexité. En attendant, et c’est déjà énorme, il impose simplement et définitivement Park Chan-wook comme l’un des grands réalisateurs de son temps.
De Park Chan-wook. Avec Kim Min-hee, Kim Tae-ri, Ha Jung-woo. Corée du Sud. 2h25. Sortie le 1er novembre
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