MANCHESTER BY THE SEA : chronique

13-12-2016 - 12:14 - Par

MANCHESTER BY THE SEA : chronique

Derrière son calme et sa paralysante tristesse, MANCHESTER BY THE SEA regorge d’émotions brutales, déchirantes et opératiques. Un tsunami de sentiments, un grand moment de cinéma.

manchester-posterSur un petit bateau de pêche, un jeune homme et un garçon complices s’amusent. Dans la scène suivante, le premier, Lee, a vieilli. Il déneige une rue, répare des toilettes, se mure dans le silence et la violence anonyme, tandis que sa silhouette fatiguée se laisse emprisonner dans des cadres dans le cadre. L’agencement narratif et la mise en scène bâtis par Kenneth Lonergan dans les premières minutes de MANCHESTER BY THE SEA résument parfaitement la dualité du film qui, plus de deux heures durant, passe sans transition du bonheur à la mélancolie, d’un calme frustré à une colère tonitruante, des larmes au rire. Lee (Casey Affleck) apprend que son grand frère Joe (Kyle Chandler) vient de mourir. Il retourne dans sa ville natale du Massachusetts, Manchester-by- the-Sea, pour organiser les funérailles. Là, le notaire lui signifie que son frère a fait de lui le tuteur de son neveu Patrick (Lucas Hedges). Lee, dévoré par un passé tragique, se montre des plus réticents… Le cinéma américain a cela de fulgurant qu’il est capable (peut-être plus que tout autre), en se drapant de quotidien, de livrer des histoires intemporelles et universelles, de rogner une dramaturgie jusqu’à l’os, jusqu’à un essentiel dans lequel chaque spectateur se reconnaîtra. Avec cette histoire de deuil, de fraternité, de difficile résilience et de responsabilité face à l’adversité, Lonergan aurait pu bâtir un drame plombé et plombant, donneur de leçons et gorgé d’émotions forcées. MANCHESTER BY THE SEA est au contraire d’une subtilité assez ahurissante, capable de danser avec un brio rare sur de fines lignes. Non pas que le film se refuse tout débordement émotionnel ou esthétique. Au contraire. Sa subtilité ne réside pas dans un recul poli qui prétendrait refuser toute manipulation mais dans la manière dont il maîtrise ses élans. Par le truchement d’une très solide construction faussement éclatée, Lonergan fait entrer le spectateur dans la tête de Lee et lui propose de vivre cette histoire comme lui, à mesure que des souvenirs surgissent dans son esprit et exposent son douloureux passé. Là, Lonergan se permet de bâtir un simili suspense, un thriller de l’intime qu’il mène à l’opératisme dans une longue séquence centrale – bijou d’écriture, de réalisation et de montage –, dont l’horreur et l’inéluctabilité n’ont d’égales que le lyrisme et la puissance d’évocation. Animé d’idées complexes (notamment la difficulté à surmonter sa peine quand une erreur tragique ne tombe même pas sous le coup de la loi), MANCHESTER BY THE SEA se déploie comme un grand mélodrame décortiquant avec finesse la multiplicité du sentiment humain. La densité des interprétations se révèle ici vitale. Casey Affleck, tout en intériorité, confirme qu’il est l’un des acteurs les plus complexes et habiles de sa génération. Lucas Hedges, en ado en quête d’identité, apporte un contrepoint comique à l’impeccable précision. Leur duo, magnifiquement supporté par les prestations graciles de Michelle Williams et Kyle Chandler, rend justice à la justesse d’écriture et de mise en scène de Lonergan, à sa manière si délicate d’agencer des émotions quotidiennes, aussi contradictoires que complexes. Du grand cinéma, faussement simple et vraiment généreux, qui dévaste autant qu’il réconforte.

De Kenneth Lonergan. Avec Casey Affleck, Lucas Hedges, Kyle Chandler, Michelle Williams. États-Unis. 2h18. Sortie le 14 décembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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