PATERSON : chronique

20-12-2016 - 17:46 - Par

PATERSON : chronique

Loin de l’amertume de ONLY LOVERS LEFT ALIVE, une exaltation de l’ordinaire décalée, douce et bouleversante.

paterson-posterOn avait quitté Jim Jarmusch sur ONLY LOVERS LEFT ALIVE, dont le récit vampirique servait un pamphlet à charge contre la société du divertissement, le délire de célébrité et la manière dont l’Homme a tout pourri –dont l’Art. À bien des égards un film amer, presque aigri. Soit tout l’inverse de ce PATERSON apaisé et tendrement mélancolique. Le propos, pourtant, est similaire: à Paterson, petite ville du New Jersey au fort héritage culturel, tout le monde semble vouloir être un artiste ou un érudit, s’exprimer. Tout le monde déborde de rêves de grandeur ou de réussite, quitte à avoir l’air de papillonner d’intention en ambition. Tout le monde sauf Paterson, campé par un Adam Driver bouleversant de simplicité. Lui, ex-militaire qu’on imagine héros de guerre et néo-chauffeur de bus –oui, Adam Driver incarne un bus driver, blague méta s’il en est – écrit des poèmes qui ne riment pas, dans son carnet de notes secret. Sa compagne, la fofolle Laura (Golshifteh Farahani, peut-être un poil sur- écrite et sur-dirigée) l’exhorte à dévoiler ses œuvres au monde, mais il rechigne. Paterson est ordinaire et s’en accommode très bien. Ce personnage, qui refuse tous les excès et tous les élans névrotiques de l’époque, est le cœur palpitant de PATERSON, le film et Paterson, la ville. Ce garçon qui porte le nom de sa cité est un homme-monde dont les détails intimes trouvent des échos et des résonances partout dans son univers, chez ses congénères. D’ailleurs, il aime observer autrui, écouter ses concitoyens. Il se nourrit d’eux. Pas comme les vampires d’ONLY LOVERS LEFT ALIVE, mais comme un être profondément impliqué dans le tissu social, dans un lien humain source d’expériences et d’apprentissage. Si bien que cet homme- monde apparaît comme une source intarissable d’identification – tout comme son chien et ses émotions très visibles, commentateur presque plus humain que certains hommes. Le plus touchant dans PATERSON est cette propension à décaler la réalité d’un pas de côté, comme si le récit se déroulait dans un monde parallèle au nôtre, légèrement plus doucereux ou absurde. S’en dégage une étrangeté captivante, émouvante. À tel point que si Jarmusch avait poussé légèrement le curseur vers le fantastique, PATERSON aurait fait un magnifique épisode de LA QUATRIÈME DIMENSION. Moins tonitruant, vindicatif ou ouvertement conceptuel que certains autres Jarmusch, PATERSON pourrait apparaître plus anodin. C’est tout le contraire : en détonant avec douceur du monde qui nous entoure, PATERSON a la beauté de sa sobriété et l’élégance de sa langueur. Mieux: il vieillit merveilleusement bien en tête.

De Jim Jarmusch. Avec Adam Driver, Golshifteh Farahani, Frank Harts. États-Unis. 2h03. Sortie le 21 décembre

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