A GHOST STORY : chronique

19-12-2017 - 12:14 - Par

A GHOST STORY : chronique

Un fantôme erre, observe le chagrin de sa compagne, voit le temps filer. Jusqu’à l’oubli ? David Lowery construit une puissante expérience de cinéma. Un très grand film, absolument terrassant.

« Il y a quelque chose d’élégiaque dans toutes mes réalisations. Sans doute parce que je parle souvent du temps qui passe. Il y a cet élan élégiaque dans le fait de laisser un pan du monde derrière soi, dans l’incertitude que représente le futur. Le temps ne se soucie pas de nos sentiments et les blessures finissent toujours par s’estomper. » L’an dernier, le réalisateur David Lowery nous parlait en ces termes de son PETER & ELLIOTT LE DRAGON (voir Cinemateaser n°60) mais, sans même qu’on le sache, il aurait tout autant pu nous décrire en avance son nouveau film, A GHOST STORY, qu’il venait alors de tourner dans le plus grand secret. C (Casey Affleck) et M (Rooney Mara) vivent dans une petite maison. Quand le premier meurt dans un accident de voiture, il revient hanter la bâtisse et assiste, impuissant, au chagrin de sa compagne. Avec A GHOST STORY, David Lowery pousse encore plus avant son exploration de la tristesse du temps qui passe : il la place au centre du récit et de son expérience émotionnelle. Avec le format 1:33, le réalisateur ne fait pas qu’emprisonner son protagoniste dans le cadre très délimité de son errance post- mortem car avec ses coins arrondis, l’image renvoie presque à celle d’anciens films familiaux qu’on aurait découverts au fond du grenier. Une intimité immédiate se crée alors à l’écran et elle ne fait que s’amplifier à mesure que A GHOST STORY happe séquence après séquence son spectateur, l’englobe dans son cocon narratif, visuel et sonore. Avec son budget minuscule et son fantôme très prosaïque en forme de drap blanc, A GHOST STORY pourrait avoir l’air d’un objet fragile, soumis à la nécessité d’une difficile suspension d’incrédulité. Mais il n’a au final rien de fragile : Lowery fait preuve d’une maîtrise telle qu’il impose aisément ses parti-pris et façonne une grande expérience de perception, sur la perception. La mort entre dans la vie sans drame ni fureur mais banalement, de manière éthérée : là débute un travail remarquable sur les forces contraires qui animent ce film dont la simplicité est d’une grande complexité. Lowery traite l’extraordinaire sur un mode banal mais s’attarde sur le quotidien pour le rendre incroyable. Il étire des scènes d’apparence triviale pour tester la perception du spectateur, lui faire oublier la présence du fantôme. Il brouille les sens du public, accumule autant de silences pesants que des morceaux de bravoure musicale, joue sur le statisme de son spectre à travers de très travaillés cadres dans le cadre, avant de bousculer son récit et de le mettre en mouvement avec des ellipses soudaines transformant subitement le décor. Dans ces sauts dans le temps se confondent poétiquement la perception du spectateur et celle du fantôme – Lowery effectue-t-il des coupes dans le récit ou son protagoniste vit-il simplement le temps de manière différente de la nôtre ? À chacun de le décider. Car, loin d’être théorique, l’expérience A GHOST STORY est profondément charnelle – David Lowery joue sur les textures, sur ce qui est palpable ou visible et ce qui ne l’est pas, sur les fumées, les reflets, les rais de lumière. Sur ce drap blanc qui erre à travers le temps, chacun peut projeter ses peurs et ses chagrins, ce qu’il craint de laisser ou ce qu’il a déjà perdu, jusqu’à en ressortir totalement bouleversé, terrifié ou abasourdi. Un film rare.

De David Lowery. Avec Casey Affleck, Rooney Mara, Will Oldham. États-Unis. 1h32. Sortie le 20 décembre

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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