READY PLAYER ONE : chronique (sans spoilers)

28-03-2018 - 09:55 - Par

READY PLAYER ONE : chronique (sans spoilers)

Hybridant réel et virtuel dans un ballet virtuose, Steven Spielberg construit un film oxymore où les contraires travaillent en harmonie pour un résultat d’une parfaite homogénéité. Un grand film profond et spectaculaire, du cinéma à l’état pur comme lui seul sait en faire.

Tout comme le futur de MINORITY REPORT, celui de READY PLAYER ONE n’a rien d’une post-apocalypse et ressemble davantage à une extrapolation, à une version, logique et poussée jusqu’à la dystopie, de notre présent. En 2045, pour fuir son quotidien, la planète se rue vers toujours plus de déshumanisation en passant le plus clair de son temps – travail, école, loisirs, relations sociales etc. – dans l’OASIS, un monde virtuel où « l’imagination est la seule limite ». À sa mort cinq ans auparavant, son créateur, James Halliday (Mark Rylance), adulé comme un Dieu, a laissé derrière lui un défi à ses ouailles : dans son monde virtuel se cachent trois épreuves menant à trois clés. Celle ou celui qui les réunira en premier deviendra propriétaire de l’OASIS et de la fortune qui l’accompagne. Pour cela, il faudra sans nul doute maîtriser la culture des années 80 chère à Halliday… Wade (Tye Sheridan) fait bientôt une percée dans cette quête, rejoint par la mystérieuse Art3mis (Olivia Cooke) et trois autres amis (Lena Waithe, Win Morisaki, Philip Zhao). Ensemble, ils défient Nolan Sorrento (Ben Mendelsohn), patron de l’IOI, multinationale qui compte s’emparer de l’OASIS pour la monétiser à outrance.

La scène d’ouverture de READY PLAYER ONE expose déjà presque toutes les intentions de Steven Spielberg pour cette adaptation du roman « Player One » d’Ernest Cline. Sur un tube mémorable invitant à « sauter », un jeune homme, que le récit doit mener à l’élévation – au-dessus de son statut, de son univers, des fautes de ses aînés et héros etc. –, effectue le mouvement inverse. Au lieu de tenter d’atteindre les airs, Wade rejoint lentement le sol, dévale cahin-caha un amoncellement de remorques-caravanes formant « les Piles », néo-bidonville de Columbus, Ohio. Les mouvements du chef opérateur Janusz Kaminski sont experts. Fluide, flottant dans les airs, la caméra se balade avec grâce dans cet univers ingrat et décrépit. Elle virevolte, épouse les mouvements de Wade, seulement interrompue par des coupes discrètes, comme si elle s’évertuait à s’affranchir de sa réalité matérielle pour se transformer en caméra virtuelle évoluant dans un Volume de performance capture, alors même qu’une grande partie du décor et les personnages sont organiques. En une vingtaine de secondes à peine, Steven Spielberg a marié plusieurs contraires – visuels, auditifs, narratifs, techniques –, prévenant son spectateur que READY PLAYER ONE serait une expérience hors des normes. Un film-oxymore alliant avec virtuosité des forces opposées.

Cette idée parcourt tout READY PLAYER ONE. Le récit est scindé en deux univers, l’un matériel et l’autre virtuel, l’un en prises de vues réelles et l’autre en CGI nées de la performance capture. Spielberg s’amuse d’ailleurs de cette opposition en mettant dos à dos, dans de courts plans hilarants, des avatars numériques iconiques et des humains lambda ridiculement attifés d’un attirail de VR. Il adapte un best-seller, la création d’un artiste tiers, tout en étant totalement spielbergien et idiosyncrasique. Le script respecte la trame générale du roman ainsi que son univers fondateur mais en trahit totalement la structure, le déroulé, il fait évoluer et complète son propos – politique, notamment. Mû, voire contaminé, par la virtualité de l’OASIS – univers faisant tomber les limitations physiques –, le récit linéaire semble pourtant s’affranchir de l’espace et du temps. Un peu comme si le spectateur finissait peu à peu par arpenter lui-même, avec les héros, ce champ des possibles infini qu’est l’OASIS. Comme s’il était partout, tout le temps – à ce titre, la narration parallèle de la deuxième moitié du film se révèle d’une fluidité incroyable, en dépit de la masse d’informations et du rythme sur lequel elle est menée. Dans READY PLAYER ONE, la plus chaotique des scènes de course automobile reste d’une clarté imparable. Les avatars sur-esthétisés des héros, avec leurs peaux bleues ou roses, contrastent avec les souvenirs de James Halliday, filmés avec la lumière la plus crue et naturaliste possible – une fenêtre sur la laideur triviale du réel. Autre contradiction, ce blockbuster de studio à plus de 100 millions de dollars de budget met littéralement en scène des figures de la culture populaire – utilisées en avatars par des utilisateurs de l’OASIS – se battant contre l’exploitation éhontée que veut faire d’elles une entreprise sans foi ni loi. « Je ne suis pas un trou de cul de patron qui n’apprécie pas la pop culture », doit ainsi se défendre, en vain, Sorrento. Comme toujours chez Spielberg, bien que rongé par la peur – une imagerie totalitaire parcourt le film –, READY PLAYER ONE demeure porté par l’espoir : la dystopie n’existe que pour être combattue et vaincue par l’utopie. Tandis que le futur ne se construit qu’en connaissance du passé.

Ce dernier contraste s’avère évidemment vital au récit, puisque les personnages de READY PLAYER ONE vivent dans un monde nourri à la culture des années 80, presque forcés de l’aimer pour comprendre l’esprit de Halliday. Une culture qu’ils n’ont pas vécue, rendant leur fascination nostalgique bien plus complexe qu’un simple mouvement régressif. Ainsi, READY PLAYER ONE a beau user de références à la culture populaire des années 80 et 90, deux décennies en partie façonnées par Spielberg lui-même, le cinéaste se refuse ici à toute vaine glorification. Ici, l’important ce n’est pas la moto d’Akira que l’on aperçoit dans une scène, mais celle qui la conduit – « Oublie la moto ! », dit Wade à son amie Aech, sans équivoque. Les 80’s et les 90’s, READY PLAYER ONE s’en contrefiche : il ne réfléchit jamais spécifiquement sur la pop culture de cette époque mais sur la culture populaire dans sa globalité. Il se penche sur la capacité de l’Art populaire à réunir les êtres. Sur cette place cruciale de la culture dans l’éveil de la jeunesse, dans son rapport au monde, sa conscience politique et sociale, ses émois amoureux. La culture est formatrice, peu importe sa provenance et son époque – Spielberg dérive d’ailleurs par petites touches de la ‘geekerie 80’s’ avec la présence à l’image de King Kong, Toshiro Mifune (l’acteur fétiche d’un de ses maîtres, Akira Kurosawa) ou le Cyclope du VOYAGE DE SINBAD.

Déconstruire les années 80 n’intéresse ainsi pas Steven Spielberg : le faire reviendrait à analyser sa propre importance – ce qu’il se refuse à faire quand on l’interviewe. Comme beaucoup de ses films récents, READY PLAYER ONE réfléchit surtout à sa nature de conteur. Un des indices exhumés par Wade et ses amis parle d’un « créateur qui hait sa création ». Ne pas y voir une diatribe anti-nostalgique : le cinéma de Spielberg a toujours été nourri de nostalgie, mais le réalisateur a aussi toujours en partie combattu ce sentiment en se tournant résolument vers le futur – les modifications qu’il a effectuées à E.T. en 2002 restent d’ailleurs un traumatisme pour lui, une erreur qu’il ne refera pas et lui ayant appris que le passé, quel qu’il soit, devait rester à sa place tout en nous indiquant la voie à suivre.

En juxtaposant des idées éloignées, voire contradictoires, READY PLAYER ONE établit des ponts entre les mondes. Tout le brio de Steven Spielberg est de parvenir à unir ces contraires en un tourbillon homogène. Jusqu’à ce que ce mouvement centrifuge brouille les frontières entre réel et virtuel – à l’image d’un superbe champ/contre-champ, poétique et lourd de sens, entre l’avatar numérique de Wade et Sorrento ou encore lors de l’incursion des héros, dans la peau de leur avatar et au sein de l’OASIS, dans un décor réel – un moment qui coupe le souffle. Tout comme il avait été l’un des premiers à recréer sur pellicule des créatures organiques dans JURASSIC PARK, Steven Spielberg repousse ici les limites des technologies modernes afin qu’elles insufflent la vie à ses images. Le passé et le futur s’unissent dans cette fusion entre réel et virtuel. Wade et ses amis renvoient alors directement aux archéologues Henry et Indiana Jones et READY PLAYER ONE, sa quête des trois clés puis de l’œuf à LA DERNIÈRE CROISADE et aux trois épreuves menant au St Graal. Quel Graal ? Celui du lien, de la connexion à autrui. Tout comme Indy se réconciliait avec son père Henry en fouillant et en acceptant le passé, Wade se connecte enfin au monde réel, à l’autre, découvre l’amitié et l’amour. Du spectacle survolté naissent la profondeur et l’émotion. De l’OASIS, univers désincarné qui souvent aliène, naît le lien. Pas la moins belle des contradictions.

De Steven Spielberg. Avec Tye Sheridan, Olivia Cooke, Lena Waithe, Ben Mendelsohn. États-Unis. 2h10. Sortie le 28 mars

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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