L’ÎLE AUX CHIENS : chronique

10-04-2018 - 14:04 - Par

L’ÎLE AUX CHIENS : chronique

Près de dix ans après FANTASTIC MR FOX, Wes Anderson réinvestit l’animation en stop motion pour un conte dont la splendeur et le foisonnement esthétiques n’ont d’égal que la férocité politique. Indispensable.

Wes Anderson l’assure : depuis FANTASTIC MR FOX, il n’est plus vraiment le même. Non pas que ce cinéaste génial, maniant avec la même élégance le décalage et la tragédie, ait disparu. Au contraire. Après son premier détour dans le monde de l’animation, son cinéma semble s’être affranchi de toute règle. MOONRISE KINGDOM pouvait apparaître comme une œuvre de transition, rejouant avec tendresse un ‘style Anderson’ qu’il se savait prêt à faire muter. Il avait ensuite tout fait exploser avec THE GRAND BUDAPEST HOTEL, grand-huit délirant mû par une énergie vitale insatiable combinant son amour des maquettes, des esthétiques pastel faussement inoffensives, des personnages foldingues, du romanesque, son érudition, son humour déglingué et ses accès d’expérimentations visuelles. Cet élan quasi juvénile habite à nouveau chaque plan de sa nouvelle incursion dans l’animation stop motion, L’ÎLE AUX CHIENS. Tout comme dans FANTASTIC MR FOX, les héros sont ici en grande partie animaliers, et de la famille des canidés. Ceux-ci ont beau être domestiqués, ils ne sont pas moins sauvages que leurs cousins renards. Dans un Japon fantasmatique, vingt ans dans le futur. Parce que les toutous souffrent d’une grippe particulièrement tenace, le Maire de Megasaki – descendant d’une dynastie glorifiant les chats ! –, les bannit tous de son district et les emprisonne sur une île décharge. Quelques années plus tard, le tout jeune Atari, neveu du Maire, s’écrase avec son avion sur l’Île Poubelle, où il espère retrouver son chien Spots. Le prenant en affection, une bande de corniauds se propose de l’aider. Une expédition durant laquelle Atari se lie d’amitié avec le pas commode Chief, à qui l’on a reproché d’avoir un jour osé mordre l’Homme… L’ÎLE AUX CHIENS a tout juste le temps de débuter qu’une certitude s’impose déjà : un seul visionnage ne suffira pas. Qu’il s’agisse de personnages en arrière-plan, de textures que l’on croirait tactiles, de décors d’une richesse étourdissante – avec leurs peintures rappelant Hokusai ou leurs superbes jeux de transparence –, L’ÎLE AUX CHIENS déborde de détails, d’idées formelles et narratives, de gags poilants, d’informations, parfois jusqu’à un trop- plein presque frustrant. Ici, tout nourrit l’imaginaire : le parti-pris de ne pas sous- titrer tous les dialogues japonais, source d’une délicieuse désorientation ; l’élégance verbale et l’aura mystique de ces chiens dont le flegme triste tranche avec la puérilité des émotions humaines ; l’inventivité visuelle d’Anderson entre cadrages surprenants et caméra mobile. Autre témoignage de cette densité, le caractère férocement politique de ce conte où se croisent la résurgence des populismes, les crises migratoires, toutes les nuances de déshumanisation nourrissant l’apathie et, en contrepoint, la nécessité de l’indignation – embrassée par une jeunesse refusant les erreurs de ses aînés. Pourtant, et ce n’est pas la moindre de ses qualités, L’ÎLE AUX CHIENS peut aussi s’apprécier au premier degré, comme la simple et bouleversante histoire d’un amour indéfectible entre un garçon et son chien, tous deux indomptables. Dire que l’on s’amuse comme des enfants shootés au sucre devant L’ÎLE AUX CHIENS ne rendrait encore pas justice à sa générosité. Et quiconque a un jour eu l’impression d’avoir son âme sondée par le regard d’un sac à puces pourrait bien verser quelques larmes.

De Wes Anderson. Avec les voix originales de Bryan Cranston, Koyu Rankin, Liev Schreiber, Edward Norton, Greta Gerwig, Scarlett Johansson. États-Unis. 1h41. Sortie le 11 avril

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