CLIMAX : chronique

18-09-2018 - 17:10 - Par

CLIMAX : chronique

Avec ces nouveaux corps hallucinés jusqu’à la décoration, Gaspar Noé continue d’apprivoiser la fin de tout par la petite mort.

 

Toujours faire confiance à Gaspar Noé pour nous mettre une tarte. Formaliste choc rendu chic par ses projections cannoises houleuses, le cinéaste conçoit son art comme un free fight avec le spectateur. On entre donc dans CLIMAX comme dans une arène avec l’idée d’en découdre. Gaspar Noé aussi. La preuve, il balance l’uppercut final dès le début. Un plan sublime dans l’immensité blanche où une jeune femme ensanglantée se tort de douleur. Puis générique de fin. Oui, générique de fin ! Sale gosse rieur, Gaspar Noé nous rappelle qu’on est entre ses mains et que forcément, ça va mal se passer. Pourtant, passé ce chamboulement rigolo, le film étonne par sa rigueur.

Suivant pas à pas la lente montée et la descente affreuse d’une bande de danseurs intoxiqués au LSD, Noé imagine en fait ici un film d’horreur dansé. Après le mélo porno dans LOVE, c’est l’occasion pour le réalisateur de continuer à explorer avec une mélancolie crasseuse l’état de nature et l’impossible transcendance. Oui, oui, la transcendance ! Lui qui a longtemps filmé les errements de l’esprit, les divagations narcotiques du cerveau jusqu’à l’extase, filme ici l’envers de la transe. Comme en miroir du trip abstrait et volatile d’ENTER THE VOID, CLIMAX nous jette à la figure la beauté et l’horreur des corps qui hallucinent.

Tout d’abord via la danse, véritable moteur fou du film. Les corps se frôlent, se tordent, claquent au sol et se redressent dans une cérémonial quasi tribal filmé par Noé avec une volupté et une fascination de voyeur. On les regarde de biais, à l’endroit, à l’envers comme pour essayer de percer le mystère de ces corps libres qui semble défier devant nous et sans vergogne les lois de la gravité, du genre et même du bon goût. Puis le film surprend par le texte et son sens de la tchatche dans une succession de scènes improvisées, de discussions libidineuses, amoureuses ou intimes rythmées par de brefs écrans noirs. On découvre les personnages, leurs peurs, leurs désirs, leurs attitudes via l’énergie des dialogues comme si celle emmagasinée par la danse devait à tout prix sortir. Surtout, il flotte dans ces séquences un air de comédie horrifique avec ses personnages dragueurs et hâbleurs qui donne au film des atours de série B prête à virer dans le cradingue.

Mais soyons clair, si vous attendez de CLIMAX un feu d’artifice gore et provoc, vous serez déçu. Le bad trip proposé par Noé tient plus du constat horrifique, du voyeurisme épouvanté que du roller-coaster ludique. Un peu à l’image de la 3D de LOVE, CLIMAX écrase les corps au sol (une sublime séquence en plongée qui voit les danseurs s’élever et retomber au sol), épouse leurs convulsions, leurs cris et leurs douleurs avec un brio organique déroutant. Evidemment, le sexe est partout. L’enfance aussi et la mélancolie qui va avec. Ce sont les tropes d’un cinéaste qui n’a de cesse de s’inquiéter d’être en vie. Construit par vague dans une montée en puissance de l’extase à l’enfer, le film passe ainsi de la frénésie à l’hystérie, de la danse à la grimace et pousse toujours plus loin l’errance des corps. Si dans LOVE, Noé filmait l’impossible jouissance des corps, dans CLIMAX il attrape l’horreur de l’extase permanente.

C’est radical, brutal dans sa raideur, pas sexy pour un sou et pourtant l’expérience de cette beauté convulsive est indéniablement forte et passionnante.

De Gaspar Noé. Avec Sofia Boutella, Romain Guillermic, Souheila Yacoub. France. 1h35. Sortie le 19 septembre

4Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.