FIRST MAN : chronique

16-10-2018 - 20:35 - Par

FIRST MAN : chronique

Toujours fasciné par la performance et les sacrifices qui vont avec, Damien Chazelle fait preuve de virtuosité mais aussi d’un certain manque de coeur.

 

À l’instar de l’exploration spatiale qui, selon un des personnages de FIRST MAN, a pour but de modifier notre point de vue sur la Terre et nous faire « voir des choses que l’on aurait dû voir depuis longtemps », Damien Chazelle entend, avec son quatrième long-métrage, transformer notre regard sur ceux qui ont conquis l’espace. À mille lieues du point de vue extérieur, admiratif et parfois triomphaliste de classiques comme L’ÉTOFFE DES HÉROS ou APOLLO 13, Chazelle vise une expérience plus intérieure, immersive et réaliste. La toute première séquence, tumulte furieux qui plonge le spectateur dans la carlingue d’un avion-test au côté de Neil Armstrong, est à ce titre ahurissante de puissance, écrasant le spectateur sur son siège, exprimant en quelques plans l’absurdité de la performance – la machine apparaît d’une fragilité extrême– autant que la poésie de l’instant – l’horizon de la Terre se reflétant sur la visière du casque du pilote. Quelques plans plus tard, Neil Armstrong, aussi invincible ait-il pu apparaître auparavant, redevient un humain ordinaire, victime d’une tragédie familiale et d’un impossible deuil qui n’aura de cesse de le hanter. Ce point de friction entre l’héroïsme et l’humanité d’Armstrong, son brio d’astronaute et sa tristesse d’homme, donne à FIRST MAN une porte d’entrée parfaite à l’identification du spectateur. Pendant près de deux heures Chazelle va tenir ce cap, avec une réalisation d’une virtuosité indéniable, remarquablement servie par ses acteurs, la photographie granuleuse et désaturée de Linus Sandgren et la partition opératique, jusqu’à la morbidité, de Justin Hurwitz. On regrette bien quelques plans singeant très maladroitement THE TREE OF LIFE ou 2001, mais FIRST MAN, chronique doloriste d’un entraînement performatif devant mener l’homme à devenir sur-homme, déroule avec beaucoup de minutie ce récit où le sacrifice et la mort planent sur chaque instant. Là réside toutefois son talon d’Achille : tout, ici, apparaît presque trop calculé, millimétré, mécanique, les personnages robotiques dans un monde froid et désincarné jusqu’au stéréotype. Un point de vue qui manque cruellement de cœur. Jusqu’à ce que surviennent les dernières vingt minutes, opéra filmique fascinant, tour de force captivant qui, toutefois, met en lumière le grand paradoxe du film : c’est justement lorsque Chazelle oublie (renie ?) son point de vue contrit et intérieur pour insuffler, dans ce dernier acte, une certaine dose de spectacle, de suspense, de triomphe – aussi intime soit-il – et de grand sentiment que FIRST MAN emballe totalement. Et émeut, enfin.

De Damien Chazelle. Avec Ryan Gosling, Claire Foy, Jason Clarke. États-Unis. 2h10. Sortie le 17 octobre

3Etoiles

 

 

 

 

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