ROMA : chronique

11-12-2018 - 10:52 - Par

ROMA : chronique

Film-monde à la fois intime et grandiose, ROMA colle des frissons à la rétine. Plus qu’un grand film, une oeuvre qui impose son propre langage. Inoubliable.

 

On devrait mesurer la force des grands films à la difficulté qu’on peut avoir à les définir par des mots. À ce jeu-là, ROMA défie tous les superlatifs. Peut-être parce qu’Alfonso Cuarón a justement construit son film au-delà des mots, des schémas traditionnels du romanesque ou de l’expérimental, pour inventer une nouvelle façon de regarder le monde et de le mettre en images. Tout se joue là. ROMA n’est en fait qu’une somme de regards (attentif, inquiet, aimant, perplexe, joyeux) qui, mélangés les uns aux autres, donnent vie à une existence. Juste ça : l’émotion phénoménale d’entrapercevoir le bouillonnement d’une âme, ses doutes et ses désirs. Quelque chose de magique, en somme, comme la révélation d’un univers qui était là, sous nos yeux, mais qu’on ne savait voir. Ainsi, de retour au Mexique, Cuarón retrouve le réalisme magique qui faisait la beauté de ses premiers films (comme LA PETITE PRINCESSE) et ce, dès le premier plan, où un carrelage qu’on lave se transforme en une mer bouillonnante dans laquelle un avion apparaît soudain de nulle part. Ou comment l’hyper concret ouvre l’imaginaire. Dans les pas de Cleo, nounou mutique d’une famille bourgeoise de Mexico, Cuarón nous donne à voir le monde et ses mystères. Un entre-deux flottant où le quotidien et la métaphore se télescopent, une vie peuplée de symboles où les drames semblent joués d’avance et où les petits garçons sont sûrement de vieilles âmes égarées. Par la grâce de sa mise en scène, le rythme de ses plans, il réveille en nous comme un appétit à s’émerveiller, à s’inquiéter, à s’étonner, à absorber par le regard le monde qui nous entoure. L’image se suffit à elle-même et le récit se fait lointain, comme distant. Pourtant, contrairement à Malick ou Reygadas, Cuarón ne nous perd jamais. L’émotion prime sur l’intellectualisation du dispositif. L’intime et le grandiose fusionnent dans une forme inédite de spectaculaire. ROMA demande un certain laisser-aller, un temps d’adaptation pour permettre à nos sens de s’aiguiser et accepter de perdre nos repères de cinéma. En récompense, Cuarón imprime en nous des instants inoubliables. Des plans, des séquences quasi irréelles (une sieste sur un toit, un feu qui se propage, une manifestation qui dégénère…) dont la beauté folle saisit comme par surprise. C’est peu dire que dès le générique de fin, on a envie de se replonger dans ce film-monde où le chaos et la douceur s’entremêlent. Que ROMA soit disponible sur Netflix et non en salle ne changera rien : avec les grands films, ce n’est pas la taille qui compte mais notre capacité à savoir s’abandonner à eux.

D’Alfonso Cuarón. Avec Yalitza Aparicio, Marina de Tavira, Diego Cortina Autrey. Mexique. 2h15. Le 14 décembre sur Netflix

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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