BIENVENUE À MARWEN : chronique

19-12-2018 - 18:05 - Par

BIENVENUE À MARWEN : chronique

Robert Zemeckis transforme un tour de force technique en leçon de storytelling. Un film-somme doux, dur et dingue, en forme de célébration de l’imaginaire.

 

Le regard a toujours eu une importance primordiale dans le cinéma de Robert Zemeckis. Le sien, évidemment, mais aussi celui de ses personnages. Sa filmographie affiche une telle diversité de genres et de styles, sans doute parce qu’il a toujours mis le point de vue de ses protagonistes au premier plan. Qu’ils commentent et racontent leur vie (FORREST GUMP, THE WALK), la voient se dérouler devant leurs yeux (RETOUR VERS LE FUTUR), la reconsidèrent à l’aune d’une situation dramatique ou inédite (CONTACT, FLIGHT), l’examinent pour en déceler les mécanismes viciés (APPARENCES, ALLIÉS), en font un agrégat de légendes (LE PÔLE EXPRESS, BEOWULF, LE DRÔLE NOËL DE SCROOGE) ou s’en inventent une pour survivre (SEUL AU MONDE), les personnages de Zemeckis modèlent le ton et l’esthétique des films dont ils sont les héros par le regard qu’ils portent très directement sur leur existence. Un regard qui fait de leur vie une affaire de storytelling mais aussi de confrontation, parfois très directe, entre fiction et réalité – avec en point d’orgue littéral de cette idée ROGER RABBIT, et aujourd’hui BIENVENUE À MARWEN.

Mark Hogancamp (Steve Carell, toujours plus bouleversant de rôle en rôle) a un soir de beuverie été agressé par cinq hommes, qui l’ont laissé pour mort dans le caniveau. En partie amnésique, atteint physiquement et psychologiquement, il cherche la résilience dans un monde fait de poupées censées représenter des versions fictionnelles de lui et de son entourage, affrontant des SS dans un village belge durant la Seconde Guerre mondiale. Aussi fou que cela puisse paraître, BIENVENUE À MARWEN s’inspire – très fidèlement – d’une histoire vraie, déjà contée dans le documentaire MARWENCOL. L’hybridation entre fiction et réalité, implémentée dans le cœur-même du projet, trouve un deuxième niveau dans la friction entre les univers fantasmés et réels qui constituent la vie de Mark. Le regard, profondément triste et affligé qu’il porte sur son existence, extrêmement romanesque et héroïque qu’il insuffle à son univers miniature, font de BIENVENUE À MARWEN une expérience à part.

S’il faut un court temps d’adaptation au spectateur pour saisir pleinement le ton et l’intention, tous deux singuliers, BIENVENUE À MARWEN prend très rapidement son rythme de croisière grâce au talent de conteur hors pair de Zemeckis. Armé de ses habituels plans longs laissant aux acteurs le temps de se saisir de l’espace et du rythme narratif, le réalisateur embrigade le public dans une expérience narrative et visuelle hors des normes et des standards du cinéma américain actuel. Esthétiquement, BIENVENUE À MARWEN ne ressemble à aucun autre – la performance capture apporte un photoréalisme et une humanité terrassante aux poupées – et Zemeckis aligne des trésors d’inventivité pour opérer la bascule entre ses deux mondes – transitions malignes voire poétiques, différences subtiles de photographie et d’étalonnage, scène de tribunal incroyablement évocatrice où réel et factice évoluent dans le même cadre etc. Comme toujours chez Robert Zemeckis, cette luxuriance technique n’a qu’un seul but : le récit et les émotions.

Sans être politique en lui-même, BIENVENUE À MARWEN porte un regard à la fois extrêmement triste et enragé sur l’époque. Si les nazis ne cessent de ressusciter et si, comme à Charlottesville, ils fleurissent dans les rues, MARWEN y répond en affichant une joie indicible à les buter, torturer, brûler, démembrer… Une violence exutoire pour Mark, personnage très touchant dont la solitude et la peine reçoivent pour réponse l’empathie sans faille de sa ville et de ses proches, comme si leur salut – tout comme le nôtre – passait par le sien. À la fois en perpétuel mouvement et très doux, BIENVENUE À MARWEN enserre lentement le spectateur, le prend à la gorge et tente, par la grâce du storytelling, de panser les plaies du monde. Dans cette recherche de résilience, Robert Zemeckis semble trouver une thérapie presque personnelle : il insuffle en tout cas ici toutes les composantes de son cinéma, au point de faire de BIENVENUE À MARWEN un véritable film-somme, parfois jusqu’à la référence littérale. Si l’on ne savait pas que le cinéaste a au moins deux projets imminents sous le coude (THE WITCHES, adaptation de Roald Dahl et THE KING, avec Dwayne Johnson), ce conte débordant autant de tristesse que d’amour, célébration de l’imaginaire comme moyen de résilience, aurait pu prendre des atours de chant du cygne.

De Robert Zemeckis. Avec Steve Carell, Leslie Mann, Diane Kruger, Merritt Wever, Janelle Monáe, Eiza González, Gwendoline Christie, Leslie Zemeckis. États-Unis. 1h56

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