LE TRAÎTRE : chronique

30-10-2019 - 09:21 - Par

LE TRAÎTRE : chronique

Marco Belloccio portraiture un mafieux repenti dans une fresque dépassant glorieusement le folklore. À ne pas manquer.

 

Au cours de sa carrière, Marco Bellocchio a scandalisé et s’est attaqué à quasiment toutes les institutions. Ce n’est pas à 80 ans qu’il va raccrocher les armes et LE TRAÎTRE le prouve avec panache. S’ouvrant sur une scène de fête durant laquelle divers clans de Cosa Nostra se partagent le marché du trafic d’héroïne, LE TRAÎTRE, avec ses malfrats plus grands que la vie mis en scène par une caméra mobile, pourrait laisser croire qu’il va dérouler le parfait petit manuel du film de mafia tel que l’inconscient collectif l’imagine – LE PARRAIN en tête. Il le fait au départ et c’est sans doute la partie la moins intéressante. Pendant près d’une heure, Bellocchio expose un enjeu simple – Tommaso Buscetta, soldat de Cosa Nostra basé au Brésil va décider, une fois arrêté, de collaborer avec le juge Falcone – mais de manière qui frise parfois le nébuleux. On a le net sentiment que l’on ne doit et ne peut pas tout comprendre. Mais l’accumulation de faits et les sauts que le récit effectue de date importante en date importante plombe tout élan romanesque. Écrasé par cette exposition gargantuesque, impossible de se laisser porter. Puis, dès lors que LE TRAÎTRE s’affranchit de ces fondations et de ses apparats, dès lors qu’il confronte ses gangsters à la justice, il s’envole. Il explose, même. Après avoir filmé le folklore, Bellocchio regarde les choses en face. Il décrypte l’hypocrisie des criminels, leur veulerie, les trahisons et mensonges, le tout recouvert sous l’alibi de l’honneur et de « la famille ». Lors de scènes quasi fantasmagoriques de procès où s’affrontent plusieurs juges, des dizaines d’avocats et de mafieux en cage, LE TRAÎTRE démonte brique par brique l’horreur, le fait avec malice, le sourire narquois aux lèvres. Mais aussi, et là réside sans doute sa beauté, à travers les mots et les actes d’un anti-héros particulièrement romanesque, Tommaso Buscetta, mafieux qui ne renie rien de son passé et accuse même Cosa Nostra d’avoir trahi ses principes. Homme du passé, accroché à un code qui n’existe plus – mais a-t-il vraiment existé ? –, Buscetta balade sa tristesse et sa colère, se dévoile lors de très belles scènes partagées avec le juge Falcone et offre l’occasion à Pierfrancesco Favino de livrer une prestation tout en nuances et dignité. Peut-être que LE TRAÎTRE apparaîtra légèrement outrancier avec ses postiches et ses maquillages voyants, volontairement kitsch. Il en tire néanmoins grâce et efficacité. Il est comme la salle à manger de notre grand-mère. Surchargée avec ses napperons et sa vaisselle d’un autre âge. Mais Dieu sait qu’on y mange toujours bien.

De Marco Bellocchio. Avec Pierfrancesco Favino, Maria Fernanda Candido. Italie. 2h31. Sortie le 30 octobre

4Etoiles

 

 

 

 

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