Interview : Desplechin, Shared universe

16-05-2015 - 16:40 - Par

À l’occasion de la présentation à Cannes et de la sortie de son nouveau film, TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE, un vrai-faux préquel de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ, nous avons interrogé le cinéaste sur son univers partagé.

Cet entretien a été publié au préalable dans Cinemateaser Magazine n°44 daté mai 2015

Cinéphile éclectique, amoureux des genres et des acteurs, Arnaud Desplechin a toute sa place dans Cinemateaser. Cinéaste ambitieux trop caricaturé, celui qui a révélé Mathieu Amalric est l’auteur d’un cinéma singulier, romanesque et emporté, qui s’amuse à brouiller les pistes entre feuilleton et autobio. Tandis qu’il met la touche finale à son très beau TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE, rencontre sur la table de montage avec un réalisateur bien plus pop qu’il n’y paraît.

Comment, après un film comme JIMMY P., tourné à l’étranger, bascule-t-on vers un projet aussi intime que TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE ?

JIMMY P. a été un tournage très compliqué. J’ai beaucoup attendu, il y a eu du retard et les choses ont été plus compliquées que prévu. Pendant ces moments de latence, il fallait que je réfléchisse à la suite pour me donner du courage et l’envie d’aller au bout de ce projet. J’ai besoin de regarder loin pour avancer. J’avais, dans mes carnets, des fragments de films. Des choses que j’avais écrites il y a longtemps. Je me suis mis à les relire et petit à petit, j’ai eu envie de ça: un film fragment, un film morcelé, qui convoquerait des fantômes. J’avais très vite en tête le tout début du film. Paul Dédalus, dans un pays étranger, en exil, qui doit soudain rentrer chez lui. C’était quelque chose qui me parlait. ‘Rentrer à la maison’. Qu’est-ce qui se passe quand on a été loin et qu’on doit faire le chemin arrière? Je suis parti de cette idée et je me suis mis à écrire. Je fantasme. C’est étrange la manière dont on travaille, vous savez. Vous êtes là, sur votre table et puis vous écrivez ‘Paul vit au Tadjikistan’, parce que le son du mot vous plaît. Ça fait exotique, un peu ‘Tintin’ ! Vous êtes content de votre trouvaille d’auteur. Sauf qu’à un moment du tournage, il faut y aller, au Tadjikistan. Et là, d’un coup, tout devient plus réel.
La production soupire, vous avez presque envie de vous excuser d’avoir eu cette inspiration venue de nulle part ! Bref, je suis parti de cette idée. Paul est loin.
Il doit rentrer. Je me suis rendu compte que je n’avais pas envie de raconter une histoire liée, que j’avais envie de laisser les choses suspendues. Comme des instants. De laisser le spectateur se balader dans ces fragments. Pour ça, il fallait qu’on retourne dans le passé. Qu’on explore des instants de la vie de Paul. Sans donner d’explication.

Pourtant, vous vous doutez bien que le spectateur essaie de raccorder les morceaux par tous les moyens…

Bien sûr. C’est là tout l’intérêt de faire du cinéma, non ? Laisser le spectateur libre. Mais je crois que le film est très guidé en fait. Si la narration est éclatée, j’avais envie qu’on puisse se rattacher au ‘genre’. J’aime les genres au cinéma. Quand je vais voir un film, je vais voir un genre de film. Je sais ce que je vais voir, je me mets dans les conditions de recevoir l’univers du film. Je crois que les genres structurent le cinéma. Dans TROIS SOUVENIRS, ce sont certes des fragments d’une même histoire, mais on passe de genre en genre. Pour la première partie, sur l’enfance de Paul et la folie de sa mère, j’avais en tête le cinéma de Bill Douglas. Je voulais arriver à ce mélange de mystique et de naturalisme qui se rapproche du conte de fées. Pour la seconde partie, en Russie, c’est évidemment le film d’espionnage. Caméra plus mobile, ton plus gris, montage plus énergique. L’ambiance de la paranoïa des 70’s. La dernière partie, la plus importante du film, c’est un mélodrame. La musique y est très importante. Je voulais que le spectateur remonte la vie de Paul comme s’il se baladait dans le cinéma.

C’est surtout dans votre cinéma qu’on se balade. Vous parlez de l’importance du genre ici. Mais tous vos films sont des fantasmes de genre, non ? On peut lire le titre TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE comme une forme de regard rétrospectif sur votre œuvre. Comme un film best of, en somme.
Oui, ce n’est pas faux. Il y a un peu de ça. Quand j’ai raconté le film à ma coscénariste (Julie Peyr, ndlr), je lui disais : ‘Tu vois, le début, ce sera un enfant qui regarde sa famille se détruire et qui se sauve pour s’en sortir. Avec une ambiance étrange, un peu fantastique. Comme dans LA VIE DES MORTS, mon premier film. Ensuite, il y aura un voyage en Russie avec des espions, un peu comme dans LA SENTINELLE. Et la troisième partie, on retrouve Paul et Esther, les héros de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ’. En piochant dans mes vieux carnets, c’est comme si j’avais fait remonter tous mes anciens films. Je ne sais pas si c’est un film best of réellement. C’est sûr que c’est un film qui revient en arrière, qui arpente des territoires que je connais déjà. C’est un film sur l’exil. Chaque fragment raconte l’histoire d’un arrachement, d’une fuite. En même temps, moi je fais le chemin inverse. Je reviens en arrière. Ce double mouvement, je m’en suis rendu compte au montage. Mais j’ai très peur du film auto-citationnel. Je crois que ce qui m’a sauvé de ça et du ‘nombrilisme’ que ça peut supposer, c’est d’avoir fait ce projet avec des comédiens très jeunes. Les acteurs du film ont en moyenne une vingtaine d’années. Ils n’ont pas vu mes films. Je ne leur ai vraiment pas demandé de le faire. C’est indécent. Donc eux se sont emparés du projet avec leur jeunesse, sans a priori, sans réflexion sur mon travail. Ce qui fait que ça a effacé toute la mélancolie ou l’aspect passéiste du projet. Ils redonnaient une autre vie à mon cinéma. Je ne suis pas quelqu’un qui cherche à tout prix à se rapprocher de la jeunesse. Je crois beaucoup aux fossés des générations. Mais artistiquement, sur ce film, ils m’ont donné beaucoup. TROIS SOUVENIRS est aussi un teen movie. Il
y avait déjà des jeunes acteurs dans UN CONTE DE NOËL, mais j’avais eu l’impression d’avoir raté quelque chose. C’étaient des personnages trop périphériques. Je crois que l’une des impulsions pour ce nouveau film, c’était aussi de me concentrer sur cette jeunesse. De travailler avec des gens qui découvraient le cinéma, mon cinéma. Je sortais de JIMMY P., un projet lourd avec deux grosses stars de cinéma, Benicio Del Toro et Mathieu Amalric, j’avais envie de quelque chose de plus immédiat.

C’est amusant de vous entendre parler de Mathieu Almaric comme d’une grosse star de cinéma. Vous n’y êtes pas pour rien…
Oh, je ne pense pas que Mathieu soit devenu une star grâce à moi. Gentiment, il dit qu’il me doit tout, que j’ai fait de
lui l’acteur qu’il est. Mais ce n’est pas complétement vrai.

Ça vous fait quoi quand vous voyez votre Paul Dédalus, Mathieu Amalric, qui joue un méchant dans QUANTUM OF SOLACE ?
C’est incroyable. Je suis ravi, fou de joie. Ce qui était étrange, c’est que pendant qu’il tournait le JAMES BOND, moi j’étais en train de terminer UN CONTE DE NOËL. Il nous manquait parfois des plans de coupe, comme Mathieu sortant de l’hôpital ou en train d’ouvrir une porte etc. Le problème, c’est que lorsque vous tournez dans un JAMES BOND, vous n’avez pas le droit de faire autre chose pendant au moins un an. Vous êtes lié au film. Donc Mathieu s’arrangeait pour s’éclipser du tournage avec l’accord de l’assistant réal pour venir tourner ces petits bouts de trucs avec moi. Moi je voulais tout savoir, je voulais qu’il me raconte des trucs incroyables. Je lui disais : ‘Alors, alors ?! T’as tourné quoi aujourd’hui ?’ ‘Je suis descendu d’un avion. Toute la journée !’ Quelques semaines plus tard, je lui redemandais : ‘Bah, je descendais toujours du même avion mais sur un fond vert. La semaine prochaine, je fais la même scène, mais
à Mexico !’ Ça fait relativiser l’excitation. Après, voir Mathieu en bad guy face à James Bond, ça a été un pied d’enfer !

Mathieu Amalric est dans TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE. Il réendosse le rôle de Paul Dédalus, le héros de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ. Très vite, il est remplacé dans le film par Quentin Dolmaire, qui joue Paul, jeune. On a vraiment l’impression d’assister à une sorte de PAUL DEDALUS ORIGINS, un prequel de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ.
C’est complétement ça. C’était l’idée de départ que j’ai eue très tôt, au moment même du tournage de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ. Dans ce film, Paul et Esther sont ensemble depuis longtemps. Paul est très parisien, très implanté dans ce petit milieu et Esther a toujours ce côté provincial qui agace Paul. Je me demandais souvent comment avaient été leurs vies avant. Comment s’étaient-ils rencontrés ? Comment leur amour avait tenu la distance ? J’avais pris quelques notes et en rouvrant ça, j’ai eu envie de m’y plonger. Mathieu dit toujours que ce qu’il aime chez Paul, c’est que c’est un personnage ‘prévisible’. C’est quelqu’un qui fait toujours ce qu’il faut faire, qui y va sans se poser de questions. C’est presque un naïf qui est incapable de lutter contre sa nature. Je ne voulais pas que Quentin voie COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ. Je voulais qu’il fasse un autre Paul Dédalus. Que les films ne raccordent pas forcément. D’ailleurs, au fur et à mesure de l’écriture, on a décalé l’histoire. L’histoire d’Esther et Paul de TROIS SOUVENIRS ne raccorde pas avec celle de COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ. C’est une variation, une réécriture aléatoire. Comme si Paul et Esther avaient une seconde chance. Après, effectivement, il y a dans le film des personnages que l’on retrouve dans d’autres films. Le cousin Bob notamment. Il y a ça déjà chez Bergman ou Fassbinder. Ce sont des noms qui reviennent. Vous ne savez pas si c’est le même personnage ou pas, les mêmes acteurs. C’est comme un univers clos. Mon univers. Dans UN CONTE DE NOËL, il y a une version du Ismaël de ROIS ET REINE et un jeune Paul Dédalus. Dans TROIS SOUVENIRS, on croise une version jeune d’Abel, le père d’UN CONTE de NOËL ou même Ivan, le frère qui dans les deux films est hanté par la religion. Je crois que je ne sais pas écrire autre chose. Ce sont des obsessions. Je reviens toujours sur mes pas. Je crois qu’on écrit un prequel pour s’excuser d’avoir toujours les mêmes idées. Comme on ne peut pas faire autrement, qu’on ressasse toujours la même chose, on remonte aux origines pour faire croire qu’on avance. En fait, on cherche juste à retrouver nos propres traces.

Vous parlez de prequel. Ce sont des modes d’écriture très à la mode dans le cinéma de super-héros…

Vous voulez dire que Dédalus, c’est un peu mon Batman à moi ? (Rires.) Pourquoi pas, en fait ! J’ai beaucoup aimé le cinéma de super-héros pendant longtemps. Il y a quelque chose de profondément romanesque et cinématographique dans ces histoires de personnages qui luttent entre le quotidien et une aspiration supérieure. Ce sont de vrais et grands personnages tragiques, déchirés entre la vie et le devoir. Donc forcément, ça me plaît. J’adore X-MEN 2. Mais vraiment ! Je trouve ça incroyable. Bryan Singer est un grand metteur en scène. Mais plus encore, l’inventivité du scénario, la capacité à manipuler un nombre important de personnages, à les croiser, dans des séquences à la fois intimes et spectaculaires. Ça me bluffe et ça me fascine ! Ça, c’est du cinéma ! Aujourd’hui, je ne suis pas très sensible à la génération AVENGERS. Je trouve que ça manque d’incarnation. Que c’est trop rigolard. Les premiers SPIDER-MAN de Sam Raimi, c’est très émouvant. Très puissant, parce que très romanesque. Aujourd’hui, le romanesque est dilué. Les héros ne sont pas assez héros pour moi.

Ça pourrait surprendre des gens que vous, Arnaud Desplechin, qui incarnez une sorte d’idéal d’auteur français, vous défendiez et aimez le cinéma de super-héros!
Ah bon ?! (Rires.) Déjà, je ne crois pas que j’incarne grand-chose. Ensuite, je crois qu’il n’y a pas plus français que d’aimer sincèrement et profondément le cinéma populaire américain. C’est notre singularité à nous. En France, on fantasme l’Amérique par le cinéma. Vous savez, quand on est jeune, on n’aime pas la vie : on aime le cinéma. Parce qu’au cinéma tout est plus clair, plus simple. Et on aime le cinéma américain parce que tout y paraît possible, accessible. Je crois qu’il nous élève. Je suis très proche d’un philosophe américain du cinéma, Stanley Cavell. C’est quelqu’un que j’admire énormément. Il a écrit un texte très beau qui s’appelle ‘Le cinéma nous rend-il meilleur ?’ Moi, je suis parfaitement d’accord avec ça : les films nous rendent meilleurs. Le cinéma de John Ford vous apprend le courage, l’honneur, l’amitié. Il y a quelque chose dans le cinéma américain qui tient de la quête de perfection. Les grands films racontent l’histoire de personnages qui veulent devenir meilleurs.

Tanguy Viel, un romancier français, a une phrase amusante sur l’opposition cinéma français / cinéma américain : ‘La différence entre les cinéastes français et les cinéastes américains, c’est que les cinéastes français pensent et ensuite ils tournent. Les cinéastes américains, eux, pensent en tournant’. Vous êtes d’accord ?
(Rires.)Laissez-moi réfléchir ! Oui, parfaitement ! C’est bien tout le problème. Il y a quelque chose dans le cinéma américain qui est indescriptible. Je ne sais pas à quoi ça tient. Peut-être à ça. Les Américains sont des pragmatiques. Ils ne se noient pas dans un verre d’eau, comme nous. Nous, on théorise, on étudie, on réfléchit. Et ensuite, peut-être, on se met à créer. Il y a une nécessité de l’action dans le cinéma américain. Il faut faire. C’est pour ça d’ailleurs que je pense que le cinéma américain est beaucoup moins illustratif que le cinéma français. En France, nos actions sont trop cérébrales. On veut que l’image soit à la hauteur de la pensée que l’on a conçue. Alors que l’image devrait être de la pensée. Ce qui fait qu’on illustre, qu’on cherche à rendre visible l’idée. Ce qui est beau chez Hitchcock ou chez Lang par exemple, dans leur période américaine, c’est que tout est à l’écran. Il n’y a pas de sous- texte, de sous-entendu. L’image est l’idée. J’aime aussi le cinéma de Truffaut parce qu’il filme l’arête de l’idée. On voit la théorie, et hop il bascule dans la pratique. Son cinéma est à la fois très littéral et presque théorique. Mais je crois aussi qu’en France on est très attachés au réalisme. C’est quelque chose auquel je ne crois pas vraiment. Pour moi, le réalisme est un genre. J’admire le cinéma des Dardenne. Mais quand on me dit que les Dardenne sont plus réalistes qu’un cinéaste comme Lang ou Bergman, ça me dépasse. Il me semble qu’ils disent tous quelque chose de la réalité, chacun dans leur genre. Un film des Dardenne, ça obéit à des codes précis, je sais comment ça doit se terminer, etc. Le réalisme est un genre, comme le mélodrame, le thriller ou le film d’horreur. En France, on brandit
ce réalisme comme un accomplissement, comme si on enlevait la tache que pourraient être la fiction ou le romanesque. Je vais me faire fusiller pour avoir dit ça, mais tant pis… Désolé, mais pour moi, Pialat c’est pas réaliste, c’est juste du cinéma gris. Je ne suis pas un cinéaste ‘réaliste’. Je filme avant tout des histoires, des personnages, des fictions.

Vous êtes réputé pour donner des films à voir à vos comédiens, ce qui fait partie du processus de direction. On ne crée qu’à partir des autres ?
C’est plus compliqué. Il y a deux choses. La direction d’acteur, c’est le cœur de mon travail. J’ai une relation compliquée à l’acteur. J’aurais aimé être un acteur et en même temps, ça me paraît être l’état le moins naturel du monde. Faire du cinéma, c’est mettre un masque. C’est pour ça d’ailleurs que j’utilise beaucoup l’autobiographie dans mes films. Ce n’est qu’un masque supplémentaire. TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE ne parle pas du tout de moi ! Quand mes parents ont entendu le titre, ils étaient affolés. Mais rien n’est vrai. Le ‘ma’ est une fausse piste, un jeu de plus pour vous entraîner dans le labyrinthe de mon film. D’ailleurs, le titre est en deux parties. NOS ARCADIES, le sous-titre, renvoie beaucoup plus au projet initial. ‘Nos arcadies’, c’est celles que l’on partage vous et moi. Nos souvenirs en commun. Le cinéma doit tendre à l’universel, sinon ça n’a aucun sens. Mais pour ça, on doit imaginer que ce que l’on est rime avec ce que peut être l’autre. Donc quand je donne des films à voir, c’est parce que je trouve, dans les films des autres, des rimes de moi-même. J’ai besoin d’être époustouflé par un film pour écrire. J’ai besoin d’un défi. De me confronter à un autre. Il y a des films qui me terrassent. Je me dis ‘Voilà, tout est dit. Tout est là’. Et ça crée une frustration en moi, une envie de me surpasser. De prouver que moi aussi je peux dire quelque chose. Pas de faire mieux, hein. Mais de me comparer, quelque part. Pendant longtemps, je n’ai rien vu de cet ordre-là. Je vais pas mal au cinéma, j’ai besoin de ça. Mais rien ne me donnait vraiment envie d’écrire. Récemment, j’ai vu INHERENT VICE. Ça m’a laissé perplexe. Tout le monde autour de moi trouvait ça génial. J’ai eu l’air con. Mais cette sensation m’a plu. Le film a créé une énigme en moi, un truc nouveau et qui a mis l’étincelle à un projet sur lequel je suis en train de travailler.

Pourquoi n’avez-vous jamais fait de série télévisée? Quand on voit TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE ou même COMMENT JE ME SUIS DISPUTÉ, on voit bien que vous avez un goût pour le romanesque, le feuilleton, qui irait parfaitement avec ce mode d’écriture, non?
J’adore le feuilleton, ça c’est vrai. C’est pour ça, d’ailleurs, que j’aime assez l’idée que les spectateurs aient envie de raccorder mes films entre eux. Après, sur la série télévisée, c’est compliqué.
J’en regarde, mais peu. J’ai eu pendant longtemps une sorte de réflexe complètement stupide, de vouloir défendre le cinéma face à elle. C’est absurde, hein, je le reconnais. Il n’y a pas d’inimitié. Le problème, pour moi en tant que spectateur, c’est que la série télévisée prend trop de temps. Si je me lance là- dedans, je ne fais que ça. Après, j’ai vu des choses formidables. TRUE DETECTIVE, évidemment. Tout le monde m’en parlait. J’ai succombé. Je n’aime pas beaucoup Matthew McConaughey comme acteur. Les gens vont me détester pour avoir dit ça… Mais j’ai trouvé que le format série lui permettait vraiment d’installer quelque chose. Son jeu a plus de sens sur la durée. J’ai hâte aussi de voir THE KNICK, la série de Soderbergh. Je crois que la série télévisée aujourd’hui prend le temps de la digression romanesque, ce que le cinéma n’ose plus. C’est peut-être pour ça que vous me voyez en auteur de série. Je suis quelqu’un de digressif, mon cinéma l’est donc aussi. En fait, mon ami Eric Rochant m’avait proposé de participer à son projet de série LE BUREAU DES LÉGENDES. J’ai lu le scénario. C’est incroyable. Brillant, puissant, vraiment romanesque. Tout ce que j’aime. Malheureusement, j’ai dû refuser pour faire ce film-ci. Vous voyez, j’ai encore un réflexe de cinéma. Peut-être parce que j’ai peur, avec la série télévisée, de ne pas tout contrôler ou d’avoir trop à contrôler, je ne sais pas. Je me dis que faire une série télévisée, c’est comme tourner un blockbuster. Il faut savoir en permanence où tu vas. Alors que moi, j’ai l’impression de tâtonner en permanence. Après, si je devais faire une série, je sais déjà ce que ce serait. Je veux écrire une série sur la Révolution française. Ça me semble être le sujet parfait. Il y aurait plein de personnages, plein d’intrigues en même temps. Ce serait comme une chronique dont on connaîtrait déjà la fin. J’imagine déjà Mathieu en Louis XVI, un peu comme Jason Schwartzman dans le MARIE- ANTOINETTE de Sofia Coppola. Il n’y a plus d’intérêt aujourd’hui à lancer ce type de projets-là au cinéma. Il n’y a plus que dans la série télévisée aujourd’hui que l’on vous offre le temps de raconter le désordre du monde.

TROIS SOUVENIRS DE MA JEUNESSE
En salles le 20 mai
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