Interview : Oren Moverman pour LOVE & MERCY

30-06-2015 - 12:23 - Par

Interview : Oren Moverman pour LOVE & MERCY

Mercredi sort en salles le biopic du leader des Beach Boys, Brian Wilson – campé à l’écran par Paul Dano et John Cusack. On en a parlé avec le scénariste, Oren Moverman.

Cette interview a été au préalable publiée dans le magazine Cinemateaser n°45 daté de juin 2015

Il a écrit le vrai-faux biopic de Bob Dylan I’M NOT THERE pour Todd Haynes. A bossé pour Universal sur un film sur Kurt Cobain – abandonné par le studio car trop expérimental. Oren Moverman revient au biopic musical en signant le script de LOVE & MERCY, consacré au leader des Beach Boys, Brian Wilson. L’occasion pour Cinemateaser d’étudier avec lui les passerelles existant entre ses films de scénariste et ses propres réalisations – THE MESSENGER, RAMPART et l’attendu TIME OUT OF MIND (avec Richard Gere). Avec en point d’orgue une question : le biopic peut-il être personnel ?

LoveMercyPosterI’M NOT THERE sur Bob Dylan, un projet avorté sur Kurt Cobain, LOVE & MERCY sur Brian Wilson : pourquoi des biopics spécifiquement sur des musiciens ?
En fait, je pense que tous les films sont des biopics. En tout cas, c’est comme ça que j’aborde les choses. Même si vous ne vous basez pas sur la vie d’une personne existante, vous abordez l’existence de quelqu’un, ses relations avec autrui. Après, je dois reconnaître que la musique représente une part importante de ma vie. La musique m’émeut comme le cinéma ne peut pas le faire. Avec ces trois biopics, j’ai cherché à raconter la vie ou une part de la vie de quelqu’un de manière intéressante, non conventionnelle, non linéaire, qui ne soit pas nécessairement dans les règles. Ce qui passe par pas mal d’expérimentations.

Même si le dispositif est différent, dans I’M NOT THERE et LOVE & MERCY, plusieurs acteurs incarnent la même personne. On peut se demander si pour vous, le biopic n’est pas une manière d’étudier une certaine universalité, à savoir que nous sommes tous multiples…
Je crois, oui. Une des choses que j’ai apprises c’est que personne n’est jamais perçu de la même manière. Il y a des tas d’interprétations possibles sur ce que sont les gens. Et puis, évidemment, personne ne reste constant tout au long de sa vie. C’est d’autant plus vrai quand vous êtes un artiste : il y a forcément une progression dans votre parcours créatif. Les grands artistes font une sorte de voyage qui les change… jusqu’à leur look, qui devient une part de leur Art. Selon moi, on ne peut qu’essayer d’aller vers cette vérité selon laquelle nous sommes multiples, effectivement. Cette multitude est une manière de toucher la vérité de l’Art de ces personnes – on ne peut pas atteindre la vérité de leurs émotions car ils sont les seuls à les avoir vécues. Il y a une superbe phrase de Walt Whitman : ‘Est-ce que je me contredis ? Très bien donc, je me contredis. Je suis vaste, je contiens des multitudes.’ Je crois que nous sommes tous des contradictions. Dans mes films et mes scripts je tente d’explorer les divers aspects d’une personne puis je m’amuse à les réunir en espérant que cela puisse mener à une somme permettant de comprendre cette personne.

LovePic1Dans LOVE & MERCY, il y a cette manière très fine de montrer l’opposition radicale entre la noirceur des névroses de Brian Wilson et la pureté lumineuse de sa musique. Les Beach Boys étant un groupe très américain, peut-on voir dans cette dichotomie un portrait de l’Amérique et de ses contradictions ?
Oui ! Cela dit, le film parle des contradictions de l’humanité en général. (Rires.) Mais oui, vous avez raison. LOVE & MERCY explore un génie créatif et beaucoup de ses chansons, qui sont globalement magnifiques et exaltantes, viennent d’un esprit très sombre et complexe. Cette relation entre noirceur et splendeur renvoie aussi à notre rapport à Brian Wilson. LOVE & MERCY n’est pas seulement l’opportunité de présenter Brian à une nouvelle génération mais aussi à ceux qui croyaient le connaître. J’ai été surpris de constater que si peu de gens connaissaient sa vie. Ils connaissent sa musique et à partir de là, ils croient connaître l’homme. Alors que ce n’est pas le cas.

J’ai mentionné l’Amérique car dans vos films de réalisateur, THE MESSENGER et RAMPART, vous explorez les mythes de votre pays, son identité profonde. Même si vous ne les dirigez pas, pensez-vous que des films comme I’M NOT THERE et LOVE & MERCY correspondent à votre processus artistique de cinéaste ?
Oui je pense car tous ces films traitent de mythologie, effectivement. Mes films traitent de la mythologie de l’homme en Amérique, de l’effondrement d’institutions très masculines – l’Armée dans THE MESSENGER, la police dans RAMPART ou les foyers pour SDF dans TIME OUT OF MIND. Ces trois longs-métrages évoluent dans le même monde que I’M NOT THERE et LOVE & MERCY qui eux se penchent sur des hommes créatifs ayant atteint la célébrité au point qu’une certaine mythologie se crée autour d’eux. Brian Wilson était une victime de son enfance, un survivant. Ses frères et lui ont grandi dans un univers difficile, avec un père très dur. Puis ils ont créé la surf music alors qu’aucun d’eux n’était surfeur – sauf Dennis. Encore de la mythologie : celle de la Californie, du soleil, des filles etc. Tout ça n’était qu’une façade et cette façade était très américaine. Mais derrière tout ça, il y a une histoire bien plus sombre et réaliste. Cela ne pouvait que m’intéresser.

ExergueTHE MESSENGER et RAMPART étaient très masculins, comme on a pu en parler précédemment. Mais LOVE & MERCY me semble plus féminin. Est-ce volontaire ?
Je ne suis pas sûr. Tout ça est très subjectif. C’est drôle car… THE MESSENGER est sorti la même année que DÉMINEURS. Beaucoup disaient que DÉMINEURS était un film masculin parce qu’on y voyait de l’action et que THE MESSENGER était un film féminin car il parlait des émotions dévastatrices de l’après-guerre. Dans THE MESSENGER, il n’y avait pas d’action, juste des hommes qui tentent de bien se comporter dans un monde qu’ils ne comprennent plus. Pour moi, c’est un propos plutôt masculin. Je crois que nous sommes sur la même longueur d’ondes là-dessus mais nous sommes en minorité. La plupart des gens voient les émotions comme quelque chose de féminin. (Rires.)

LOVE & MERCY implique vraiment le spectateur. Pendant les scènes de studio, on entend juste la musique et on prend le relais, on chante dans nos têtes : du coup on se retrouve à la place de Brian Wilson et c’est nous qui entendons des voix… Était-ce écrit ainsi dans le script ? Pensez- vous qu’il est important pour un biopic de jouer avec les connaissances du public ?
Oui, c’était écrit dès le scénario et j’aime beaucoup la description que vous en faites. Le public vient voir LOVE & MERCY avec ses connaissances – les chansons. Mais dans ces scènes de studio, chaque spectateur doit décomposer ces connaissances au fil du processus créatif par lequel est passé Brian. Du coup, on le partage avec lui…

Le moment où il joue « God Only Knows » au piano à son père est une des rares scènes d’un biopic où l’on saisit de manière palpable ce qu’est l’acte de création artistique. Est-ce un but ultime de parvenir à ce genre de séquence ?
Je ne sais pas si Brian a joué « God Only Knows » ainsi à son père. Il avait une relation très tumultueuse avec lui, ça c’était connu. Le fait d’être le fils aîné l’a poussé à chercher l’approbation de son père. J’avais donc lu des histoires selon lesquelles il jouait parfois des chansons à son paternel en espérant le rendre fier – en vain. Cette scène sur « God Only Knows » nous permettait de tout dire sur l’enfance de Brian sans avoir à faire de flashback. C’était un vrai challenge mais c’était ce que je cherchais à faire.

LovePic2Selon moi, vos personnages sont souvent tragiques. Pourriez-vous être attiré par un projet plus ‘léger’ ?
Oui, bien sûr ! (Rires.) Cela dit, la tragédie fait partie de la vie et on doit l’embrasser autant que le reste. Après, je ne pense pas être fait pour la comédie. Je ne me considère pas comme une personne sérieuse pour autant – demandez à mes enfants – mais quand je bosse sur un film, je suis attiré avant tout par la difficulté à être humain. Être un génie créatif comme Brian Wilson l’était est un énorme fardeau car les moments d’accomplissement sont fugaces. Je ne connais pas de génie du niveau de Brian qui ait eu une vie facile.

À quel point des biopics peuvent-ils être personnels ? Par exemple, le tout premier dialogue de LOVE & MERCY – quand Brian dit avoir peur de perdre son talent – renvoie-t-il à une de vos intimes craintes ?
Je crois que c’est personnel, oui, mais je pense que cette peur est universelle. Quand on a la chance de se retrouver dans une certaine position (de succès, d’accomplissement ou de créativité), on a peur de la perdre. Pour les gens qui sont au niveau de Brian Wilson – et ils sont peu nombreux –, c’est forcément une émotion très puissante. Il faut se souvenir qu’il était très jeune quand il a fait « Pet Sounds » – 24 ans. Il avait très peu confiance en lui car il n’était qu’un jeune garçon sans aucun soutien parental.

J’ai l’impression que LOVE & MERCY et votre dernière réalisation en date, TIME OUT OF MIND, sont liés par un certain travail sur le son… Dans les deux films, le son attaque le protagoniste pour l’écraser.
Je prête énormément attention au son dans mes films. Et ce, dès l’écriture. Quand je regarde LOVE & MERCY et TIME OUT OF MIND l’un à la suite de l’autre, ça me frappe de constater que le son dans LOVE & MERCY est très intérieur. On se rapproche de ce que l’on pense être la manière dont le son fonctionne dans la tête de Brian Wilson. C’est fascinant, car expressionniste et subjectif. Le son dans TIME OUT OF MIND est influencé par l’environnement, à savoir New York, il est extérieur, peu subjectif. Si vous vous baladez dans New York, dans n’importe quelle rue à n’importe quelle heure, vous aurez la bande-son de TIME OUT OF MIND. Là est la différence entre les deux films. Mais je vois des similitudes entre les deux films moi aussi, notamment dans l’attention portée à ce que tel ou tel son signifie dans la vie d’une personne.

LovePic3Dans la scène finale de LOVE & MERCY, la chanson choisie – et la manière dont elle est utilisée – a une fonction narrative primordiale… Mentionnez-vous les morceaux dès la scénarisation ?
Oui. Dès le début, le réalisateur Bill Pohlad et moi nous sommes fixé sur quelques éléments très précis et pour la plupart, les chansons choisies dans le script sont restées les mêmes dans le film fini. Atticus Ross a ensuite bossé sur la bande-son, ce qu’on appelait les ‘mind montages’ – des montages de sons et de musiques qui étaient eux aussi dans le scénario pour définir la manière dont le son devait fonctionner dans chaque scène. Atticus a mené tout ça vers des sommets.

Est-ce libérateur pour vous d’écrire pour d’autres cinéastes ?
Oui, ça l’est. C’est même assez excitant car je suis toujours intéressé par la manière dont les autres font les choses. Tout le monde a un ego, moi compris, mais je ne suis pas dirigé par lui au point de vouloir toujours tout contrôler. En fait, j’aime que les choses aient une vie propre. Après, j’ai eu beaucoup de chance : à chaque fois, j’ai été très impliqué dans la production des films que j’ai scénarisés. Je n’ai donc pas juste écrit pour voir ce que ça donnait une fois le film fini. Mais même ça, ça m’irait. Car tout ça n’est en fait que diverses composantes de la même chose : avoir la possibilité d’être créatif.

LOVE & MERCY, de Bill Pohlad
En salles le 1er juillet

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