AUCUN HOMME NI DIEU : chronique

02-10-2018 - 19:07 - Par

AUCUN HOMME NI DIEU : chronique

Après les célébrés BLUE RUIN et GREEN ROOM, Jeremy Saulnier revient avec AUCUN HOMME NI DIEU, une production originale Netflix.

 

De MURDER PARTY à GREEN ROOM en passant par BLUE RUIN, la survie en milieu hostile a toujours été centrale dans le cinéma de Jeremy Saulnier. Avec le roman de William Giraldi « Aucun homme ni Dieu », le cinéaste trouve de quoi creuser encore un peu plus son thème fétiche et sa figure récurrente de personnages vivotant ou luttant pour leur existence : le récit se déroule dans un coin reculé, pauvre et isolé, d’Alaska. Le jour où son jeune garçon est la troisième victime de loups affamés, Medora Slone (Riley Keough) fait appel à l’écrivain Russell Core (Jeffrey Wright) pour chasser l’animal responsable et récupérer le corps de l’enfant. Pendant ce temps, son mari Vernon Slone (Alexander Skarsgard) est au front en Irak…

Portage quasi littéral du roman de Giraldi, AUCUN HOMME NI DIEU tendrait à prouver qu’une adaptation extrêmement fidèle n’est pas nécessairement une adaptation adéquate. Avec 2h05 au compteur, le nouveau film de Jeremy Saulnier affiche ainsi une certaine complaisance – là où BLUE RUIN et GREEN ROOM, dégraissés jusqu’à l’os, exaltaient par la mécanique simple, sèche, claquante de leur narration. Ce qui fonctionne à l’écrit, ne fonctionne pas toujours à l’image et, là où le style grave et poétique de Giraldi offrait au lecteur une expérience immersive et mélancolique, les errements et le rythme lancinant d’AUCUN HOMME NI DIEU jouent parfois contre lui. D’autant que Saulnier et son scénariste Macon Blair peinent à créer une empathie immédiate pour le très tourmenté Russell Core. Alors que le film suit donc quasiment à la lettre le roman, ils choisissent de mentionner rapidement, presque sous le manteau, un instant court mais fondateur : la fois où Core, face à une meute de loups, a dû abattre une femelle à contre cœur, par pure nécessité. Un épiphénomène narratif, quelques lignes à peine, mais si bouleversant qu’il était essentiel à l’humanisation du personnage, à la construction de sa solitude, de son mutisme et de sa tristesse. N’introduisant pas, d’aucune manière que ce soit, les tourments de Core et ce qui caractérise son for intérieur, AUCUN HOMME NI DIEU tient son spectateur à distance. Sans doute par choix, par pure volonté de l’endormir pour mieux le réveiller par la suite par ses incroyables irruptions de violence – autre figure récurrente du cinéma de Saulnier. Reste que le film bute dans sa première heure sur ses atours cliniques, parfois contemplatifs, qui limitent l’engagement et l’identification émotionnels.

Puis peu à peu, alors que les pièces du récit se mettent en place, que chaque personnage révèle son visage sous le masque des apparences, AUCUN HOMME NI DIEU se libère, laissant son venin faire effet. Saulnier et son chef opérateur Magnus Nordenhof Jonck effectuent un travail remarquable sur la lumière : se déroulant de nuit ou sous le soleil palot, presque agonisant, du Grand Nord, AUCUN HOMME NI DIEU est littéralement crépusculaire. Saulnier déroule alors un propos désespéré sur l’animalité de l’Homme qui, apeuré par sa solitude, impuissant face au grand vide de l’existence, plonge dans les abysses, confondant, au contraire des loups, survie et vengeance, survie et violence. Dans cette manière de sonder les ténèbres sans souhaiter ou parvenir à mettre des mots sur ce qui les définit ou les explique, AUCUN HOMME NI DIEU finit par séduire et toucher. Peut-être qu’avec un montage plus resserré ou davantage de générosité en sentiments, Saulnier aurait même tenu un grand film, un digne représentant du Grand Roman américain des espaces sauvages cher à Jack London.

De Jeremy Saulnier. Avec Jeffrey Wright, Riley Keough, Alexander Skarsgard, James Badge Dale. 2h05. États-Unis. Disponible sur Netflix

3Etoiles

 

 

 

 

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