BLINDSPOTTING : chronique

02-10-2018 - 19:10 - Par

BLINDSPOTTING : chronique

En évoquant la gentrification d’Oakland, David Diggs et Rafael Casal ont écrit une tragi-comédie américaine remarquable.

 

Politique, drôle, édifiant, ultra-moderne. En environ 1h30 comme un effet boule de neige, ce BLINDSPOTTING, qui démarre sur des tons de sitcom communautaire (la communauté d’Oakland), va se transformer sous pression, tel un slam qui s’emballe tout seul, en une œuvre indispensable à l’époque. C’est d’abord sympathique : Collin (Daveed Diggs, de BLACK-ISH et la comédie musicale « Hamilton »), qui est en liberté conditionnelle, va reprendre son boulot de déménageur avec son meilleur pote Miles (Rafael Casal). Entre deux vannes sur l’augmentation du coût de la vie et des esquives pour ne pas violer sa probation, tout va rouler… jusqu’à ce que Collin soit le témoin « privilégié » d’une bavure policière. La violence envers les Noirs peut revêtir plusieurs formes. Le tir dans le dos en est une, et l’impression prégnante qu’une population bobo et blanche cherche à les ghettoïser en est une autre. Oakland est depuis peu le terrain d’une guerre rangée entre autochtones aux us et coutumes bien ancrées et parvenus désirant adapter l’écosystème à leurs besoins. De scène en scène, la position de ces deux trentenaires, l’un Afro-Américain, l’autre Latino, sur la société de consommation, les conflits raciaux, la prolifération des armes à feu va s’iriser, allant de l’indifférence à la rage. Quand leur conscience va s’éveiller et se durcir, alors leur propre amitié, hélas perméable au climat délétère, sera mise en danger. Le film marche à coups de saynètes puissantes et de dialogues coup de poing, parfois écrites en vers – Rafael Casal, poète et slameur de 32 ans, et Daveed Diggs, rappeur de 36 ans, l’ont scénarisé de bout en bout ; le réalisateur Carlos Lopez Estrada a une grande expérience dans le clip. On retrouve ici un sens de la chronique urbaine telle que le hip-hop des années 90 l’a popularisée avec son sens de l’anecdote probante et de la formule choc. L’esprit bon-enfant d’Oakland, petit bout de Californie aux couleurs estivales, son atmosphère rieuse deviennent peu à peu crépusculaires. C’est la plus belle réussite de Casal, Diggs et Estrada : rendre compte, sous couvert de tragi-comédie, d’une insidieuse discrimination économique et d’une guerre culturelle. BLINDSPOTTING aurait pu être un film passéiste ou réac’; au contraire, ses créateurs ont l’élégance de faire leur auto-critique tout en dressant la liste des nouvelles ségrégations du capitalisme et des vieux réflexes indécrottables. Tout n’est pas parfait – c’est un premier film pour le réalisateur, un premier scénario pour ses auteurs: le jeu manque parfois de maturité et l’écriture, de subtilité. Mais la leçon politique est magistrale. 

De Carlos López Estrada. Avec Daveed Diggs, Rafael Casal, Janina Gavankar. États-Unis. 1h35. Sortie le 3 octobre

4Etoiles

 

 

 

 

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