MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN : chronique

13-03-2019 - 08:49 - Par

MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN : chronique

Pour son échappée américaine, Xavier Dolan dissèque la splendeur et les misères de la pop culture à travers les regards embués d’un fan rêveur et d’une célébrité prisonnière de son image. Un sublime film-somme. À la fois intime et grandiose.

 

Dolan, on l’aime ou on le quitte. Depuis dix ans et le tonitruant J’AI TUÉ MA MÈRE, l’œuvre du cinéaste québécois à qui tout réussit ne tolère pas la mesure. Il y a eu la hype folle des AMOURS IMAGINAIRES, l’ouragan MOMMY et enfin la pluie de prix avec JUSTE LA FIN DU MONDE. Restait donc l’aventure américaine, quasi hollywoodienne, très attendue au tournant. La petite pointe de cynisme au coin des lèvres, certains se disaient que l’enfant prodige allait enfin se prendre la fessée. Tournage interminable, montage chaotique, coupe entière d’un personnage (Bye Jessica Chastain !), les vautours s’apprêtaient déjà à se jeter sur ce film cadavre encore fumant. Face à cette attente délétère, la réussite pugnace de ce JOHN F. DONOVAN n’en est que plus belle. 

Dolan n’a jamais été aussi Dolan que dans ce film fleuve. Pas étonnant puisque cette VIE AVEC JOHN F. DONOVAN est peut-être son œuvre la plus réflexive, la plus directement personnelle. Difficile de ne pas lire derrières ces trois héros perdus au milieu des images (le jeune Rupert rêveur, Donovan la star et Rupert adulte) l’autoportrait contrasté d’un cinéaste-star passé lui aussi de l’autre côté du miroir. C’est toute la beauté triste et la dynamique retorse d’un film qui cherche à se tenir pile à la frontière entre les mondes. Par la relation entre Rupert le fan et Donovan la star (génial Kit Harington), et ses répercussions des années plus tard, Dolan raconte la force des icônes et la faiblesse des hommes. Plus Rupert prend vie grâce à l’image de Donovan, plus le vrai Donovan se meurt de devoir coller à cette image. C’est saisissant comme le film ne cherche même pas à lutter. Pour que Rupert puisse s’affirmer, pour que Rupert comprenne enfin les lois affreuses de ce monde-cinéma qui le fait tant rêver, pour que grâce à lui quelque chose change enfin, Donovan doit se sacrifier. La beauté de cette tragédie ordinaire, c’est que Dolan la filme à travers la possibilité d’une relation épistolaire entre les deux côtés de ce miroir aux alouettes. Pourtant, si cette relation est le cœur du récit, il ne la montre quasiment jamais, au point même où l’on finirait par douter de sa réalité. Cette suspension du récit, cette façon qu’à Dolan de filmer cette Amérique comme un mirage possible, donne à MA VIE AVEC JOHN F. DONOVAN toute sa puissance et sa douceur. 

Ce grand film sur la pop culture, cette sublime ode amoureuse aux mères, cette critique contre le puritanisme américain bouleverse ainsi par la façon qu’a Dolan de conjurer la tristesse du monde par le débordement des émotions. Il y a dans le lyrisme pop si singulier du réalisateur une profonde croyance dans la guérison de nos maux par les images. Une sorte de catharsis totale, une thérapie de choc qui combat le cynisme par l’évidence dévastatrice des larmes. Pour certains, c’est du cinéma de petit malin. C’est en fait une vision du monde, le cinéma comme refuge, qui trouve ici dans cette histoire de fan et de star peut-être son expression la plus pure, la plus directe. Mais comme le dessinent les trois parties du film, les images ne sont un refuge que si on sait s’en extirper et en faire une force. Le parcours de Donovan, sa douleur et ses erreurs, la beauté de ces instants parfaits de cinéma ne sont beaux que s’ils nous aident à comprendre quelque chose de nous et du monde. Tant que Dolan croira encore à l’évidence de son lyrisme et à la beauté des personnages ambivalents, on le suivra partout. 

De Xavier Dolan. Avec Kit Harington, Jacob Tremblay, Ben Schnetzer, Natalie Portman, Susan Sarandon… Canada. 2h03. Sortie le 13 mars

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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