L’EXTRAORDINAIRE MR ROGERS : chronique

21-04-2020 - 13:35 - Par

L’EXTRAORDINAIRE MR ROGERS : chronique

Après HONEY BOY, un autre remarquable film américain réalisé par une femme se voit relégué à une sortie en VOD. Incompréhensible.

 

Bien qu’elle fasse partie des jeunes cinéastes américaines les plus intéressantes du moment, Marielle Heller n’a pas de chance avec la France : son premier long THE DIARY OF A TEENAGE GIRL n’avait connu qu’une sortie en DVD. Son deuxième, LES FAUSSAIRES DE MANHATTAN, avait été abandonné par la Fox, pour être récupéré de longs mois plus tard par Condor. Pour son troisième, L’EXTRAORDINAIRE MR ROGERS, et en dépit de Tom Hanks, retour à la case « direct to VOD/DVD ». Après une jeune dessinatrice et une écrivaine, Heller se saisit à nouveau de figures de conteurs. Le reporter Lloyd Vogel, dévoré par sa colère, doit écrire un article sur une idole : Fred Rogers, créateur présentateur d’une émission pour enfants adorée depuis des décennies. Un homme positif, à mille lieues de Lloyd… Inspiré de faits réels, L’EXTRAORDINAIRE MR ROGERS ne nécessite absolument aucune connaissance préalable sur la figure tutélaire qu’est Mr Rogers – sans doute une des raisons qui a disqualifié sa sortie en salles françaises. Tout simplement parce que le film raconte une histoire accessible, universelle, et que le cœur du projet n’est pas là. Nullement biographique, L’EXTRAORDINAIRE MR ROGERS dresse avant tout une cartographie de sentiments et, à la limite, d’une Amérique (un monde ?) qui n’existe plus – à l’image de ce World Trade Center en maquette que Heller ne cesse de filmer. Confrontation de Lloyd et du spectateur à la pensée de Fred Rogers – bienveillance, sagesse, empathie, écoute de soi et acceptation de l’autre – le film tente « d’exposer la vérité que d’autres ne peuvent voir, et parfois, de changer le monde avec les mots ». Répudiant l’idée courante que toute belle façade dissimule un océan de pourriture, Marielle Heller construit une élégie de l’espoir et de la résilience, armée d’une mise en scène remarquable qui, idée fantastique, fait de Lloyd un personnage de l’émission de Fred Rogers. Ses compositions et ses mouvements de caméra racontent autant la colère de l’un que la bonté de l’autre. Ses plans d’exposition ou de transition en maquettes ; certains de ses décors très visiblement factices ; ses choix de ratio comme piliers entre fiction et réalité : tout ici fait du quotidien le plus banal un théâtre où toutes les vies sont dignes d’être racontées. Là, Matthew Rhys s’impose dans le lâcher prise et Tom Hanks désarme à nu, explorant son image (« La célébrité ? Ce qui importe, c’est ce qu’on en fait ») comme sa légende – on le retrouve, comme dans FORREST GUMP, dans de vraies fausses archives le mêlant à l’Histoire pop de son pays. La maîtrise de ce ballet d’acteurs permet à Heller de danser entre les tons. Elle crée tout d’abord souvent le rire, protection normale mais artificielle à la compassion de Rogers, pour mieux abattre cet obstacle. Voir et écouter Hanks en Rogers agit alors comme un baume apaisant, et pourtant déchirant. Comme le chantait le présentateur : « Les mêmes personnes qui agissent bien parfois / sont les mêmes qui agissent mal parfois. » En nous consolant, L’EXTRAORDINAIRE MR ROGERS nous maintient 1h50 au bord des larmes. Un film tant à contre-courant de son époque qu’il ne pourra qu’en devenir un classique.

De Marielle Heller. Avec Matthew Rhys, Tom Hanks, Susan Kelechi Watson. Etats-Unis. 1h48. Disponible en VOD le 22 avril. En DVD en juin

 

 

 

 

 

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